mardi 27 décembre 2016

Le temps retrouvé

Je terminerai donc cette année avec qui je l'ai commencée, ce cher Marcel Proust. Je ne l'ai pas dévoré au rythme étonnant d'Alex mais par petites gorgées, entrecoupées d'autres lectures. Et je me sens terriblement triste de devoir déjà quitter cette compagnie. A vrai dire, j'ai déjà envie de replonger dans ce cycle. Car cet ultime tome m'a énormément plu.

Picasso, Liseuse, 1920C'est le tome de la vocation littéraire enfin questionnée, presque abandonnée pour être mieux assumée, avec la synesthésie et la mémoire involontaire comme origine et singularité. Mais avant d'en venir à la superbe matinée où le narrateur comprend enfin le phénomène de la madeleine ou des pavés et de l'étrangeté des invités des Guermantes, tous marqués par le temps, nous le suivons pendant la Première Guerre. Le baron de Charlus, germanophile, subit une transformation de tout son être qui le désigne comme inverti... et masochiste et pédophile, etc. Par contre, Saint-Loup nous réserve aussi des surprises. Gilberte, un peu moins. Et notre narrateur de nous conter tout cela !

Bien sûr, c'est le livre dans lequel on a envie de surligner la moitié des phrases. Je vous en livre quelques unes, pour ceux qui voudraient se lancer en 2017. D'abord sur la lecture et l'écriture :
"Car peut-être j’aurais pu conclure d’elles que la vie apprend à rabaisser le prix de la lecture, et nous montre que ce que l’écrivain nous vante ne valait pas grand’chose ; mais je pouvais tout aussi bien en conclure que la lecture, au contraire, nous apprend à relever la valeur de la vie, valeur que nous n’avons pas su apprécier et dont nous nous rendons compte seulement par le livre combien elle était grande."
Sur l'art et la langue :
"Les cathédrales doivent être adorées jusqu’au jour où, pour les préserver, il faudrait renier les vérités qu’elles enseignent. Le bras levé de Saint Firmin dans un geste de commandement presque militaire disait : Que nous soyons brisés si l’honneur l’exige. Ne sacrifiez pas des hommes à des pierres dont la beauté vient justement d’avoir un moment fixé des vérités humaines."
"Je savais que les pays n’étaient pas tels que leur nom me les peignait, et qui avait été le leur quand je me les représentais."

Sur la mémoire et le temps :
"La félicité que je venais d’éprouver était bien, en effet, la même que celle que j’avais éprouvée en mangeant la madeleine et dont j’avais alors ajourné de rechercher les causes profondes. La différence, purement matérielle, était dans les images évoquées. Un azur profond enivrait mes yeux, des impressions de fraîcheur, d’éblouissante lumière tournoyaient près de moi et, dans mon désir de les saisir, sans oser plus bouger que quand je goûtais la saveur de la madeleine en tâchant de faire parvenir jusqu’à moi ce qu’elle me rappelait, je restais, quitte à faire rire la foule innombrable des wattmen, à tituber comme j’avais fait tout à l’heure, un pied sur le pavé plus élevé, l’autre pied sur le pavé le plus bas. Chaque fois que je refaisais, rien que matériellement, ce même pas, il me restait inutile ; mais si je réussissais, oubliant la matinée Guermantes, à retrouver ce que j’avais senti en posant ainsi mes pieds, de nouveau la vision éblouissante et indistincte me frôlait comme si elle m’avait dit : « Saisis-moi au passage si tu en as la force et tâche à résoudre l’énigme du bonheur que je te propose. » Et presque tout de suite, je le reconnus, c’était Venise, dont mes efforts pour la décrire et les prétendus instantanés pris par ma mémoire ne m’avaient jamais rien dit et que la sensation que j’avais ressentie jadis sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc m’avait rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour-là à cette sensation-là, et qui étaient restées dans l’attente, à leur rang, d’où un brusque hasard les avait impérieusement fait sortir, dans la série des jours oubliés. De même le goût de la petite madeleine m’avait rappelé Combray. Mais pourquoi les images de Combray et de Venise m’avaient-elles, à l’un et à l’autre moment, donné une joie pareille à une certitude et suffisante sans autres preuves à me rendre la mort indifférente ?"
"Au vrai, l’être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu’elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu’elle avait d’extra-temporel, un être qui n’apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l’essence des choses, c’est-à-dire en dehors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j’avais reconnu, inconsciemment, le goût de la petite madeleine, puisqu’à ce moment-là l’être que j’avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l’avenir. Cet être-là n’était jamais venu à moi, ne s’était jamais manifesté qu’en dehors de l’action, de la jouissance immédiate, chaque fois que le miracle d’une analogie m’avait fait échapper au présent. Seul il avait le pouvoir de me faire retrouver les jours anciens, le Temps Perdu, devant quoi les efforts de ma mémoire et de mon intelligence échouaient toujours."
"Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce que, au moment où je la percevais, mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer que ce qui est absent. Et voici que soudain l’effet de cette dure loi s’était trouvé neutralisé, suspendu, par un expédient merveilleux de la nature, qui avait fait miroiter une sensation — bruit de la fourchette et du marteau, même inégalité de pavés — à la fois dans le passé, ce qui permettait à mon imagination de la goûter, et dans le présent où l’ébranlement effectif de mes sens par le bruit, le contact avait ajouté aux rêves de l’imagination ce dont ils sont habituellement dépourvus, l’idée d’existence et, grâce à ce subterfuge, avait permis à mon être d’obtenir, d’isoler, d’immobiliser — la durée d’un éclair — ce qu’il n’appréhende jamais : un peu de temps à l’état pur."
"J’avais trop expérimenté l’impossibilité d’atteindre dans la réalité ce qui était au fond de moi-même."
"Ainsi j’étais déjà arrivé à cette conclusion que nous ne sommes nullement libres devant l’œuvre d’art, que nous ne la faisons pas à notre gré, mais que, préexistant à nous, nous devons, à la fois parce qu’elle est nécessaire et cachée, et comme nous ferions pour une loi de la nature, la découvrir."
"Le bonheur est salutaire pour le corps, mais c’est le chagrin qui développe les forces de l’esprit."
"Mais une raison plus grave expliquait mon angoisse ; je découvrais cette action destructrice du Temps au moment même où je voulais entreprendre de rendre claires, d’intellectualiser dans une œuvre d’art, des réalités extra-temporelles."

dimanche 25 décembre 2016

Joyeux Noël Merry Christmas

Et voilà, j'ai enfin lu mon premier Mary Higgins Clark ! Je ne sais pas si ça compte car ce sont plutôt des nouvelles. A travers quatre histoires, nous suivons Henry Parker Britland et son épouse, Sunday. Lui est ex-président des USA, elle est avocate et membre du congrès. Et bien sûr, il leur arrive plein d'aventures. 

Un crime passionnel. Shipman, grand ami du président, vient d'être accusé du meurtre de sa maîtresse, Arabella. Les circonstances sont accablantes puisque la jeune femme a été trouvée baignant dans son sang, dans le salon de son amant. Et le revolver était bourré d'empreintes de Shipman. Heureusement pour lui, Sunday et Henry décident de mener l'enquête. 

On a enlevé la femme du Président. Sunday vient d'être enlevée et la demande de rançon est élevée. Il faudrait extrader un criminel dangereux pour retrouver la belle épouse du président. 

Ohé du Colombia ! Henry vient de s'offrir un yacht sur lequel s'est déroulé un étrange crime ou suicide. Garcia del Rio, premier ministre du Costa Barria, y a disparu. Des années plus tard, Sunday relance l'enquête avec l'aide d'Henry, qui rassemble ses souvenirs pour retrouver des indices. 

Joyeux Noël, Merry Christmas. Un petit garçon est trouvé près de la maison de Sunday et Henry alors qu'ils préparent le sapin de Noël. Étrangement personne n'a donné l'alerte ! 

Effectivement, ça se lit bien Mary Higgins Clark. Mais c'est pas très fou. Tout se termine toujours bien pour ce petit couple parfait, inspiré à l'écrivain par une série radiophonique. Et puis, même si Sunday est débrouillarde et pas bête, c'est toujours le président qui lui sauve la mise. Bref, un peu trop happy end à l'américaine pour moi !


Joyeux Noël à tous ! 

lundi 19 décembre 2016

Dans les veines ce fleuve d'argent

Voilà un petit roman de Dario Franceschini à mettre dans toutes les mains. Je ne sais pas s'il a beaucoup couru sur la blogo, je le vois chez Hélène et Leiloona. Il vient de chez ma sœur et va courir chez moi, passer entre les mains de mes parents, de mes amis. C'est un petit livre plein de poésie et de tendresse pour le monde et la vie.


Primo Bottardi vient de se coucher et la question d'un ami d'enfance, Civolani, lui revient. Il n'a alors qu'un objectif, y répondre. Mais sans se presser, sans mail ni coup de fil. Non, il va prendre le temps de chercher cet ami, de remonter le Pô, de s'arrêter dans des villages aux histoires curieuses et oniriques. La ville où a déraillé un train de tabac, celle qui est noyée de brouillard, celle où chaque matin une femme rêve de sa famille noyée et crie son désespoir, celle où chacun oublie et réinvente sa vie chaque jour, celle où régulièrement les pêcheurs accrochent la belle Adelasia dans leurs filets... D'ailleurs, Primo remonte le fleuve, et ses souvenirs, non pas au volant d'une puissante auto mais au rythme lent de la charrette d'Artioli. Le temps d'écouter des belles histoires et de faire bien des rencontres avant les retrouvailles.

Plus que la question inconnue, ou l'histoire de Primo, c'est l'atmosphère qui compte dans ce joli roman. Une ambiance chaleureuse, nimbée de belles idées et de jolis mots.

"Il avait toujours confondu le silence avec le froid. Pendant les nuits moites d'été il regardait les lèvres de Maria qui bougeaient, sans un bruit, au rythme des mots de son livre, et il commençait à trembler sous les draps rêches de coton blanc.
"Tu me fais mélanger les lignes", disait Maria en feuilletant les pages qui la séparaient de la fin. Puis elle se remettait à lire à voix basse  et Primo, réchauffé par le bruit des paroles de sa femme, pouvait glisser dans ses rêves couleur rouille".

"Il lui arrivait souvent de glisser dans des rêves qui ne lui appartenaient pas. Lorsque cela se produisait, les personnages de ses rêves s’arrêtaient un peu, surpris, comme lorsqu'un étranger traverse le plateau d'un film en cours de tournage, certains faisaient même un petit salut de la tête [...] Il se demandait à chaque fois à qui appartenaient ces rêves rencontrés par erreur et il était toujours ennuyé, songeant que peut-être quelqu'un errait dans les siens sans les comprendre".

"Depuis des années, il m'envoie de Borrello des caisses pleines d'amour rien que pour moi et il les remplit toujours de paille pour qu'il arrive là encore intact". 

"Elle n'avait pas encore deux ans et le soir pour s'endormir ou dans les moments de tendresse, elle sortait à peine son pouce de sa bouche, murmurait "morceau", tendait la main vers le cou de sa maman, frôlait la peau comme pour saisir dans sa paume un petit morceau de corps et approchait son petit poing fermé de son visage, pour en garder jalousement le contenu. Très vite, elle avait commencé à prendre un morceau de son papa quand il partait travailler. Elle courait après lui jusqu'à la porte, le prenait derrière son oreille et le mettait dans sa poche ou dans son tee-shirt. Un peu plus tard, elle commença sans bruit à en prendre à ses grands-parents quand ils lui racontaient des histoires, à ses petites cousines pendant leurs jeux, aux amis de ses parents qui la faisaient jouer. Il était évident maintenant qu'elle n'en prenait qu'à ceux qu'elle aimait. En grandissant, le nombre de personnes envers qui elle éprouvait de l'affection ou de la sympathie augmentait et elle ne pouvait pas toujours demander un morceau. Il se rappelait que chaque année, le dernier jour de l'école, elle remplissait les poches de son tablier de petits morceaux de ses camarades et attendait le baiser d'au revoir pour en dérober un, en cachette, au cou de la maîtresse [...] Et souvent il lui arrivait, en lavant ses vêtements ou en vidant un vieux sac, de trouver des petits morceaux perdus depuis longtemps ou d'en trouver d'autres dont elle avait oublié à qui ils appartenaient". 

vendredi 16 décembre 2016

Albertine disparue

Comme me l'annonçait Cléanthe, Proust se dévore à toute vitesse maintenant ! Mais tout de même, quel choc cette disparition d'Albertine. Autant pour le narrateur que pour moi. La douleur de la rupture. Et la souffrance de voir cette douleur s'estomper. 

Notre narrateur va donc décortiquer la souffrance qu'il ressent au départ puis suite au décès de sa bien-aimée, cherchant d'abord tous les moyens pour la faire revenir puis évoquant sa jalousie, qui persiste malgré la mort de la fugitive. Il faut dire que le narrateur cherche toujours des puces à Albertine, malgré sa mort. Il sonde, il enquête, il analyse... afin de résoudre cette question de Sodome et Gomorrhe. Et il oscille entre désespoir et consolation, entre jalousie et apaisement. Et il sent bien qu'Albertine, comme les autres femmes aimées, ne sera bientôt qu'un simple souvenir.
"Car il y a dans ce monde où tout s’use, où tout périt, une chose qui tombe en ruines, qui se détruit encore plus complètement, en laissant encore moins de vestiges que la Beauté : c’est le Chagrin."
Ces pages sur la souffrance et le chagrin puis sur leur oubli m'ont beaucoup touchée. Un peu comme ça :
"Parfois la lecture d’un roman un peu triste me ramenait brusquement en arrière, car certains romans sont comme de grands deuils momentanés, abolissent l’habitude, nous remettent en contact avec la réalité de la vie, mais pour quelques heures seulement, comme un cauchemar, puisque les forces de l’habitude, l’oubli qu’elles produisent, la gaîté qu’elles ramènent par l’impuissance du cerveau à lutter contre elles et à recréer le vrai, l’emportent infiniment sur la suggestion presque hypnotique d’un beau livre qui, comme toutes les suggestions, a des effets très courts."
Rops, Mort au bal, 1875

Autre moment fort de ce tome, le voyage à Venise, que l'on attend depuis le premier tome et qui enfin, se réalise et comble le narrateur des surprises de ses places, de ses églises, de ses canaux. 
"Et ainsi les promenades, même rien que pour aller faire des visites ou des courses, étaient triples et uniques dans cette Venise où les simples allées et venues mondaines prennent en même temps la forme et le charme d’une visite à un musée et d’une bordée en mer."

Albertine disparue est finalement assez court par rapport à d'autres tomes, d'autant plus qu'avec les retrouvailles de Gilberte Swann, désormais de Forcheville, on est déjà projeté dans Le temps retrouvé... que je dévore joyeusement !

"Mais ce qu’on appelle expérience n’est que la révélation à nos propres yeux d’un trait de notre caractère qui naturellement reparaît, et reparaît d’autant plus fortement que nous l’avons déjà mis en lumière pour nous-même une fois, de sorte que le mouvement spontané qui nous avait guidé la première fois se trouve renforcé par toutes les suggestions du souvenir. Le plagiat humain auquel il est le plus difficile d’échapper, pour les individus (et même pour les peuples qui persévèrent dans leurs fautes et vont les aggravant), c’est le plagiat de soi-même."
"Chaque impression évoquait une impression identique mais blessée parce qu’en avait été retranchée l’existence d’Albertine, de sorte que je n’avais jamais le courage de vivre jusqu’au bout ces minutes mutilées." 
"Tout ce qui nous semble impérissable tend à la destruction ; une situation mondaine, tout comme autre chose, n’est pas créée une fois pour toutes, mais, aussi bien que la puissance d’un empire, se reconstruit à chaque instant par une sorte de création perpétuellement continue, ce qui explique les anomalies apparentes de l’histoire mondaine ou politique au cours d’un demi-siècle. La création du monde n’a pas eu lieu au début, elle a lieu tous les jours."

mercredi 14 décembre 2016

Solutions locales pour un désordre global

Ce n'est pas le documentaire de Coline Serreau qui est tombé entre mes mains mais le livre. Celui présente des alternatives à notre style de vie néo-libéral, à notre société de consommation. Loin d'être un plaidoyer écologiste larmoyant, c'est bien plutôt un recueil d'expériences dans des lieux et domaines variés, qui montre que le chemin n'est pas unique. D'ailleurs, les personnes interviewées sont très diverses. Il y a des agronomes, des philosophes, des économistes, des féministes :) Un peu de tout pour penser un monde, si ce n'est meilleur, du moins différent et peut-être plus respectueux de l'autre. 

Voilà de quoi ça cause : 

Repartir de la vie du sol, Claude et Lydia Bourguignon
Agronomie : science de la gratuité, Philippe Desbrosses
Vers la sobriété heureuse, Pierre Rabhi
Les AMAP, le lien entre le chams et l'assiette, Laurent Marbot
Autonomie alimentaire, Emmanuel Bailly
Lutter contre la confiscation du vivant, Dominique Guillet
Recettes faciles pour l'agroécologie chez soi ou dans les champs, expériences d'Inde, Stéphane Fayon
Réinventer la démocratie, Vandana Shiva
Pour un développement politiquement incorrect ! Devinder Sharma
Le microcrédit ou la renaissance de l'économie par les femmes, Muhammad Yunus
De la terre pour tous, Joao Pedro Stedile
Les acteurs du mouvement des sans-terre, Valmir Stronzake, Patricia Martins Da Silva, Amarildo Zanovello et Leci Pereira
Rompre le deal entre agriculture et industrie, Ana Primavesi
Le boycott, ou la grève des consommateurs, Chico Whitaker
Recettes faciles pour l'agroécologie chez soi ou dans les champs, expériences d'Ukraine, Semen Antoniets, Vasiliy Loubeniets et quelques villageois autonomes
Les femmes anthropocultrices, Antoinette Fouque
Petit exercice de déconstruction de la pensée libérale, grosse cure d'éthique : le don contre le donnant-donnant, Jean-Claude Michéa
Réévaluer la notion de richesse, Patrick Viveret
Repenser la croissance, Serge Latouche


lundi 12 décembre 2016

Réparer les vivants

Celui-là, on l'a vu sur tous les blogs il y a deux-trois ans. Il attendait patiemment sur un étagère que la pression retombe, que l'on l'oublie un peu. Enfin, si ça se trouve, il vient de paraître en poche et c'est sa deuxième chance...

Ce roman de Maylis de Kerangal, je ne savais même plus de quoi il parlait. J'avais oublié tout ce que j'avais lu sur lui. Ne demeurait que l'impression de l'avoir vu partout partout. Mais sans la pression de savoir si j'allais faire partie des "fans" ou des "déçues". Une approche plus tranquille des livres m'aurait-elle gagnée ? 

Ce livre, c'est celui d'un cœur. Le cœur de Simon. Un ado fan de surf qui se retrouve en réa à 19 ans. Pas à cause du surf dans l'eau glacée, à cause d'une ceinture inexistante dans un van hawaïen. Avec sa mort, commence une course contre la montre, celle de la greffe de ses organes.

Avec une écriture mitraillette, qui débite les mots comme des balles, Maylis de Kerangal nous fait galoper dans les couloirs des hôpitaux. Tantôt aux côtés de Sean et Marianne, les parents assommés, qui doivent pourtant trancher - Simon est-il, était-il donneur-, de Cordélia, l'infirmière trop sexy, de Tom, l'infirmier en charge de la procédure, ou de tous les grands pontes qui s'agitent autour des organes. Quelques moments de respiration nous font entrer dans l'intimité de l'un des personnages, mais la course reprend, inlassable. Précise, tranchante, la syntaxe de l'auteur est curieusement belle, malmenant le lecteur et l'entraînant dans ce rythme sans fin. Sans parler du vocabulaire, du choix des mots, que l'on sent pesées, maîtrisés. Rien ne dépasse, rien n'est de trop, le cœur de Simon ne nous laisse pas le temps de nous tromper ou d'hésiter. Il laisse à peine le temps des larmes et de la tristesse... 

Mantegna, Lamentations sur le Christ mort, 1480, Milan

vendredi 9 décembre 2016

Oracion y existencia cristiana

Autant vous prévenir, j'ai une bonne série de livres de réflexion et de spiritualité sur ma liste de billets en cours. On va commencer avec celui de José M. Castillo. Comme l'annonce le titre, la réflexion porte sur les liens entre la prière et l'action chrétienne.

Jusqu'à quel point la prière est nécessaire pour vivre chrétiennement ? Jusqu'à quel point, un homme qui vit sa foi a travers de l'action, est réellement sincère avec sa foi ? Est-ce que la prière est aussi indispensable que l'action, le service, l'engagement ? Quel lien entre action et prière devant les autres ? Est-il vraiment chrétien celui qui prie mais n'est pas totalement ouvert aux autres ? La chrétienté se vit-elle dans la transcendance ou entre transcendance et immanence ? Vaste programme, non ? Après, ça se divise ainsi:

1. Condicionamientos de base
2. La oracion, experiencia de la fe
3. La esencia de la oracion
4. La fe de Jesus et la oracion del creyente
5. Originalidad de la oracion cristiana
6. La oracion apostolica
7. Ensayo de sintesis


La prière nécessite isolement, retraite, silence, ordre, temps. Est-il toujours possible de prier alors que nos vies sont chargées d'occupations ? La prière est pourtant bien ce lieu d'où jaillit la vie, où peut prendre sens notre vie... La foi transforme les expériences personnelles. Il y a une grâce dans le mouvement de l'homme vers Dieu mais la prière reste difficile parce que l'on y rencontre ses propres limites et faiblesses. Le christianisme, c'est accepter le programme de Jésus par les actes. Mais qu'en est-il de la prière ? 

Notre auteur montre l'originalité de la prière chrétienne, expression de l'intensité de la foi du croyant plus qu'obligation à remplir. C'est une conversion suite à la rencontre avec Jésus, qui se nourrit d'une relation, d'un dialogue. C'est une attitude d'espérance et d'abandon à Dieu, propre des pauvres. La psychologie du pauvre, c'est de dépendre de l'autre et recevoir de l'autre. L'abandon et la confiance en Jésus permet de s'ouvrir, de recevoir... puis de mesurer la profondeur et le sens de la relation. La prière est comme l'amitié, elle n'a pas d'utilité, c'est un lien d'amour. Et comme en amour, il faut laisser sa place à l'autre : c'est bonne dose de passivité dans la prière qui permet d'atteindre l'autre. Mais si la prière est vue comme une exigence propre de la foi, la foi ne dépend pas de la prière sinon elle devient vite une série d'états d’âme que l'on déverse.  

Le fait religieux est recherche de Dieu par l'homme. Le fait chrétien est recherche de l'homme par Dieu. Et l'idéal de la vie chrétienne, c'est de participer par sa vie à la vie de Dieu !


jeudi 8 décembre 2016

10 ans de blog... ça commence à bien faire !

Les anniversaires, c'est souvent un moment de bilan et de déprime pour moi. Peut-être est-ce pour cela que je le rate systématiquement sur le blog ces dernières années ? Pourtant, après une très belle expérience à l'étranger, je me sens plus sereine vis-à-vis des anniversaires et pleine de joie à l'idée de souffler des bougies.

Le bilan ? Après 10 ans, je blogue toujours. Certainement moins. Peut-être moins bien. Peut-être mieux. Je lis toujours. Je vois moins d'expo (c'est lié à l'expérience à l'étranger) et de spectacles. Je passe moins sur les blogs. Je lis aussi sur liseuse. Et j'écris toujours deux-trois mots sur ce qui a marqué (ou non) ma lecture. Voilou, pas de grandes choses, pas de recettes magiques, pas beaucoup de visiteurs mais un petit monde où je suis bien. 

Joyeux anniversaire (en retard) à ce petit lieu !


mercredi 7 décembre 2016

La Prisonnière

Caillebotte, BalconJe dois vous l'annoncer, Proust et moi, nous sommes de nouveau amis. Avec cet opus, on a renoué après la longue période de froid qui a suivi A l'ombre des jeunes filles en fleurs. Oui, je ne suis pas très mondaine même si l'ironie de notre narrateur m'amuse. Je préfère les jalousies, les introspections, les conversations à huis-clos sur l'art... Et le jeu que jouent Albertine et Marcel. Car enfin, on peut nommer notre narrateur dont le prénom échappe dans ce tome à Albertine ! 

Cloîtrée chez lui, Albertine n'a de cesse que de sortir. Elle s'ennuie. Mais notre narrateur, très soupçonneux, la fait surveiller. Il espère échapper ainsi à la jalousie et au doute alors qu'il ne fait que les nourrir. Et si Albertine est effectivement prisonnière de Marcel, au sens physique, Marcel est lui aussi prisonnier de ses sentiments excessifs. On continue dans la lignée de Sodome et Gomorrhe puisqu'il se méfie plus des jeunes femmes que des jeunes gens...

Outre l'intéressant rapport à l'amour et à la jalousie, qui doivent lasser certains lecteurs par leur répétition, mais qui m'ont bien plu, j'ai noté plus spécialement quelques thèmes. D'abord, le miroir d'Un Amour de Swann. Marcel est aussi jaloux que l'était Swann (oui, c'est aussi un tome de morts) et bien des réactions nous rappellent le très beau premier tome. 

"C’est ainsi qu’est interminable la jalousie, car même si l’être aimé, étant mort par exemple, ne peut plus la provoquer par ses actes, il arrive que des souvenirs postérieurement à tout événement se comportent tout à coup dans notre mémoire comme des événements eux aussi, souvenirs que nous n’avions pas éclairés jusque-là, qui nous avaient paru insignifiants, et auxquels il suffit de notre propre réflexion sur eux, sans aucun fait extérieur, pour donner un sens nouveau et terrible. On n’a pas besoin d’être deux, il suffit d’être seul dans sa chambre, à penser, pour que de nouvelles trahisons de votre maîtresse se produisent, fût-elle morte. Aussi il ne faut pas ne redouter dans l’amour, comme dans la vie habituelle, que l’avenir, mais même le passé, qui ne se réalise pour nous souvent qu’après l’avenir, et nous ne parlons pas seulement du passé que nous apprenons après coup, mais de celui que nous avons conservé depuis longtemps en nous et que tout à coup nous apprenons à lire."

"L’amour c’est l’espace et le temps rendus sensibles au cœur."

Ensuite le thème de la famille. Alors qu'il n'a jamais été aussi seul, aussi loin des siens, Marcel retrouve dans ses gestes la mémoire des autres membres de sa famille, notamment de sa grand-mère ou de sa mère, ce qui est définitivement touchant !

"Quand nous avons dépassé un certain âge, l’âme de l’enfant que nous fûmes et l’âme des morts dont nous sommes sortis viennent nous jeter à poignée leurs richesses et leurs mauvais sorts, demandant à coopérer aux nouveaux sentiments que nous éprouvons et dans lesquels, effaçant leur ancienne effigie, nous les refondons en une création originale. Tel, tout mon passé depuis mes années les plus anciennes, et par delà celles-ci, le passé de mes parents, mêlaient à mon impur amour pour Albertine la douceur d’une tendresse à la fois filiale et maternelle. Nous devons recevoir dès une certaine heure tous nos parents arrivés de si loin et assemblés autour de nous."

"C’est la trop grande ressemblance qui fait que, malgré l’affection, et parfois plus l’affection est grande, la division règne dans les familles."

Bon, la procrastination est toujours présente...

"La vie a pris en effet soudain, à ses yeux, une valeur plus grande, parce qu’il met dans la vie tout ce qu’il semble qu’elle peut donner, et non pas le peu qu’il lui fait donner habituellement. Il la voit selon son désir, non telle que son expérience lui a appris qu’il savait la rendre, c’est-à-dire si médiocre ! Elle s’est, à l’instant, remplie des labeurs, des voyages, des courses de montagnes, de toutes les belles choses qu’il se dit que la funeste issue de ce duel pourra rendre impossibles, alors qu’elles l’étaient avant qu’il fût question de duel, à cause des mauvaises habitudes qui, même sans duel, auraient continué. Il revient chez lui sans avoir été même blessé, mais il retrouve les mêmes obstacles aux plaisirs, aux excursions, aux voyages, à tout ce dont il avait craint un instant d’être à jamais dépouillé par la mort ; il suffit pour cela de la vie."

Et puis, il y a ces rares moments qui nous ancrent un peu dans le temps, dans sa modernité mais aussi dans son intemporalité. Avec le téléphone, l'aéroplane et la voiture, on quitte l'atmosphère bourgeoise du XIXe pour entrer dans le grouillement du XXe siècle. Mais la ronde des petits métiers, découverte par l’ouïe d'Albertine, et maudite par le narrateur, nous replonge dans un Paris plus ancien, quasi médiéval !

"Alors, je me rappelai d’autres voix encore, des voix de femmes surtout, les unes ralenties par la précision d’une question et l’attention de l’esprit, d’autres essoufflées, même interrompues, par le flot lyrique de ce qu’elles racontent ; je me rappelai une à une la voix de chacune des jeunes filles que j’avais connues à Balbec, puis de Gilberte, puis de ma grand’mère, puis de Mme de Guermantes ; je les trouvai toutes dissemblables, moulées sur un langage particulier à chacune, jouant toutes sur un instrument différent, et je me dis quel maigre concert doivent donner au paradis les trois ou quatre anges musiciens des vieux peintres, quand je voyais s’élever vers Dieu, par dizaines, par centaines, par milliers, l’harmonieuse et multisonore salutation de toutes les Voix. Je ne quittai pas le téléphone sans remercier, en quelques mots propitiatoires, celle qui règne sur la vitesse des sons, d’avoir bien voulu user en faveur de mes humbles paroles d’un pouvoir qui les rendait cent fois plus rapides que le tonnerre, mais mes actions de grâce restèrent sans autre réponse que d’être coupées."

Enfin, l'art est toujours présent, mais il est d'autant plus mis en avant par les discussions des deux amants, par les évocations de Vinteuil, Elstir, Wagner, Dostoievski, Hugo, Vermeer, etc. Ah, le petit pan de mur jaune est enfin arrivé ! C'est un extrait que j'attendais avec impatience, fan de Vermeer que je suis, et que je souhaitais rencontrer dans son contexte (dramatique).  

"La vie pouvait-elle me consoler de l’art ? y avait-il dans l’art une réalité plus profonde où notre personnalité véritable trouve une expression que ne lui donnent pas les actions de la vie ? Chaque grand artiste semble, en effet, si différent des autres, et nous donne tant cette sensation de l’individualité que nous cherchons en vain dans l’existence quotidienne." 

Un tome qui me donne un nouveau dynamisme pour poursuivre la Recherche !


lundi 5 décembre 2016

Amérique latine. Introduction à l’extrême occident

Cet ouvrage d'Alain Rouquié est un peu plus qu'une intro à ce qu'est, du point de vue historique, social, géographique, politique, économique, l'Amérique latine des années 90. En tous cas, je l'ai trouvé hyper riche d'informations !

Il se divise en quatre parties :

1. Caractères généraux des Etats latino-américains

2. Pouvoirs et sociétés : acteurs et mécanismes de la vie politique et sociale

3. Les problèmes du développement

4. L'Amérique Latine dans le monde



Parmi ce que je retiens, il y a ce processus de concentration de la propriété des terres, toujours d'actualité aujourd'hui, qui crée des inégalités abyssales entre les plus riches et les plus pauvres. Et le pire est que ces terres ne servent pas à nourrir l'Amérique du Sud. Car la majorité de l'agriculture et de l'élevage est destiné à l'exportation. En outre, le clientélisme et les relations de patronage semblent un trait toujours très marqué. Et sont bien souvent liées au pouvoir des propriétaires de latifundia. Aujourd'hui, on pourrait ajouter celui des cartels de drogue.


D'un point de vue culturel, le mépris des indigènes et des sociétés indiennes traditionnelles conduit à leur dépossession, donc à leur affaiblissement et à leur régression sociale... jusqu'à la disparition. Il est aussi question du rôle important de l'Eglise sur ce continent catholique par excellence. Elle oscille au fil de son histoire et de ses personnalités entre liens forts avec les dirigeants et option préférentielle pour les pauvres à travers la théologie de la libération.

Enfin, l'histoire économique globale du continent pourrait s'écrire ainsi :
1860-1930 : croissance économique
1930-60 : développement des industries nationales
1960 : internationalisation du marché pour la production des biens de consommation
1980 : plus d'importations que de production industrielle propre et intégration dans l’économie mondiale
Aujourd'hui, l'Amérique Latine s'intéresse plus à la grande spéculation plutôt qu'au marche local. Ce qui conduit à une très faible sécurité et souveraineté alimentaire. Quant à l'urbanisation, elle est totalement indépendante du développement industriel, elle est bien plutôt liée au manque de travail de terres et/ou de reconnaissance dans les zones rurales.

Un aperçu très schématique d'une lecture déjà ancienne, qui donne de vraies clés de compréhension de la situation actuelle de l'Amérique Latine. 

Guayaki, Paraguay

vendredi 2 décembre 2016

Juste avant le bonheur

Quand j'ai demandé à mon papa le livre qu'il avait trouvé le plus sympa cette année, il m'a tendu ce roman d'Agnès Ledig en me disant : "C'est une belle histoire pas prise de tête". Bon, ça voulait dire à la sauce Levy pour moi. Du coup, pas sûre que ça devienne ma lecture de l'année. Et en tournant la dernière page, je confirme. Ce n'est pas trop mon style mais c'est le genre de bouquin "sympa", qui change les idées, et ne s'encombre pas trop d'efforts d'écriture.

Paul vient de se faire planter par Marlène. Il galère dans un supermarché. 
Julie, caissière, vient de se faire menacer par son boss. 
Les deux arrivent un peu perdus à la caisse. Ému par Julie, Paul revient. Et l'invite à passer les vacances avec lui et avec son fils. Flanquée de Lulu, son fils de trois ans, Julie accepte. Quant à Jérôme, le fils de Paul, il fait la tête mais il n'a pas le choix ! C'est le début d'une histoire de guérison, un peu pour tout le monde. Enfin, avant qu'un drame ne touche de plein fouet notre joyeuse bande...

Voilà un roman qui entre certainement dans la catégorie "livre doudou" pour quelques lecteurs. Pour ma part, je pense que j'oublierai assez vite ces personnages mais ils m'auront permis de me changer les idées le temps d'une soirée. 


mercredi 30 novembre 2016

Elephants can remember

C'est une année pleine de contrastes quant à mes lectures d'Agatha Christie.
Avec ce titre, bonne pioche. Un Agatha très sympa avec un Hercule Poirot secondée par une Mrs Oliver très proche de notre auteur, écrivain à succès de polars mais pas encore détective.

Quand elle est abordée par Mrs Burton-Cox lors d'un déjeuner d'écrivains, Mrs Oliver a deux options : ignorer la demande ou mener une enquête. Car l'interpellation est particulière et demande de remonter dans le temps, lors du double suicide de Lord et Lady Ravenscroft. Mais est-ce elle ou lui qui a tiré ? Notre romancière décide de reprendre l'affaire et de débusquer des "éléphants", comprendre des personnes qui se souviennent de l'affaire et ont des indices à partager. On commence avec la fille des Ravenscroft, Célia, concernée au premier chef, puisque future brue de Mrs. Burton-Cox et filleule de la romancière. Aidée d'Hercule Poirot, Mrs. Oliver mène les interrogatoires. Quant au détective, il fait des listes et découvre la vérité... Un peu après le lecteur ! Mais ça n'en reste pas moins un bon cru.

"Curiosity. I don't know who invented curiosity. It is said to be usually associated with the cat. Curiosity killed the cat. But I should say really that the Greeks were the inventors of curiosity. They wanted to know. Before them, as far as I can see, nobody wanted to know much. They just wanted to know what the rules of the country they were living in were, and how they could avoid having their heads cut off or being impaled on spikes or something disagreeable happening to them."


mercredi 16 novembre 2016

Voyage autour de ma chambre

Voilà des années que je souhaitais lire ce roman de Xavier de Maistre qui conte comment l'on peut voyager tout en ne quittant pas sa chambre. Attention, découverte d'un petit bijou très XVIIIe ! Retenu en prison pendant 40 jours suite à un duel, notre jeune homme ne s'ennuie pas un instant. Il réfléchit, il s'amuse avec son chien, il embête son valet. Mais surtout, il parodie le récit de voyage, passant de l'univers de son lit à celui de son bureau ou de sa bibliothèque. En chaque endroit, il y a des surprises, des découvertes que nous partage l'auteur. Au cœur du propos, le jeu qui se poursuit sans cesse entre l’âme et la bête :"J’ai fait je ne sais combien d’expériences sur l’union de ces deux créatures hétérogènes. Par exemple, j’ai reconnu clairement que l’âme peut se faire obéir par la bête, et que, par un fâcheux retour, celle-ci oblige très souvent l’âme d’agir contre son gré. Dans les règles, l’une a le pouvoir législatif et l’autre le pouvoir exécutif ; mais ces deux pouvoirs se contrarient souvent. — Le grand art d’un homme de génie est de savoir bien élever sa bête, afin qu’elle puisse aller seule, tandis que l’âme, délivrée de cette pénible accointance, peut s’élever jusqu’au ciel."

Van Gogh, Couloir d'asile, MET"Lorsque vous lisez un livre, monsieur, et qu’une idée plus agréable entre tout à coup dans votre imagination, votre âme s’y attache tout de suite et oublie le livre, tandis que vos yeux suivent machinalement les mots et les lignes ; vous achevez la page sans la comprendre et sans vous souvenir de ce que vous avez lu. — Cela vient de ce que votre âme, ayant ordonné à sa compagne de lui faire la lecture, ne l’a point avertie de la petite absence qu’elle allait faire ; en sorte que l’autre continuait la lecture que votre âme n’écoutait plus."

Sympathique séparation, n'est-ce pas ? Parmi les autres moments forts intéressants, un chapitre sur l'usage du miroir...

"Or, puisque les miroirs communs annoncent en vain la vérité, et que chacun est content de sa figure ; puisqu’ils ne peuvent faire connaître aux hommes leurs imperfections physiques, à quoi servirait un miroir moral ? Peu de monde y jetterait les yeux, et personne ne s’y reconnaîtrait, excepté les philosophes. — J’en doute même un peu.

En prenant le miroir pour ce qu’il est, j’espère que personne ne me blâmera de l’avoir placé au-dessus de tous les tableaux de l’école d’Italie. Les dames, dont le goût ne saurait être faux, et dont la décision doit tout régler, jettent ordinairement leur premier coup d’œil sur ce tableau lorsqu’elles entrent dans un appartement."

Délicieux également, qu'en pensez-vous ? Court, sympathique, enlevé, c'est le genre de classique à mettre entre toutes les mains. 


lundi 14 novembre 2016

Debout les morts

Encore une fois, je découvre un Vargas bien après l'Amoureux. Du coup, je squatte son billet !
Un Fred Vargas, c'est souvent trop peu et l'on aime à y revenir. Après Un peu plus loin sur la droite, j’enchaîne avec ce titre qui a pour héros les trois évangélistes. Saint Marc, Saint Mathieu et Saint Luc sont trois historiens, spécialisés l'un en histoire médiévale, l'autre en préhistoire et le dernier en histoire de la Grande Guerre. Sans le sou, Marc, Mathias et Lucien viennent d’emménager dans une grande baraque avec l'oncle de Marc, ex-policier. Ils font connaissance de leur voisine, la cantatrice Sofia Siméonidis. Cette dernière est inquiète lorsqu'elle découvre dans son jardin un arbre qui n'y était pas la veille. Que cache-t-il ? Les évangélistes creusent. Mais rien. On oublie cette curiosité et chacun se replonge dans ses recherches historiques. Mathias s'intègre un peu plus dans la vie de quartier puisqu'il commence à travailler chez une amie de Sofia, Juliette, qui tient un restaurant. Mais avec la disparition de Sofia, tout bascule et nos trois compères se lancent dans l'enquête... Surtout que la nièce de Sofia vient de débarquer et qu'elle est à la fois très jolie et très suspecte !



Une fois encore, j'ai beaucoup aimé ce polar pour ses personnages insolites et sympathiques. 

.......

Depuis ma découverte de Fred Vargas avec L'armée furieuse, l'envie de lire un autre livre du même auteur m'a titillé plusieurs fois... Eh bien  c'est chose faite, et je dois dire que je n'ai pas été déçu d'y revenir !

L'intrigue de Debout les morts commence de façon fort singulière : Sophia Siméonidis, ex-cantatrice d'opéra qui s'est retirée de la vie publique, se rend compte un beau matin de printemps qu'un arbre de taille adulte est apparu au beau milieu de son jardin du jour au lendemain !
Décontenancée, pas écoutée pour deux sous par son mari, elle demande à ses voisins, trois historiens de l'art sympathiquement fauchés, de creuser sous l'arbre pour voir ce qu'il peut bien cacher.

Les recherches sont pourtant infructueuses. Quelques semaines passent, la vie suit paisiblement son cours... jusqu'à ce que Sophia disparaisse subitement, alors même que sa nièce devait débarquer chez elle, venue de province. Ses voisins, qui hébergent également un ex-flic, décident de se lancer sur ses traces - à cause de l'arbre qui continue de les intriguer, mais aussi à cause de la jolie nièce en proie au désarroi ! 
Mais qui pourrait bien en vouloir à Sophia ? Un admirateur déçu ? Un membre de sa famille, pressé de toucher une part d'héritage, sa nièce qui a l'air pourtant si innocente ?

Drôle, bien écrit et fourmillant de rebondissements dans son dénouement, ce livre de Vargas m'a fait passer un très bon moment. J'ai trouvé les personnages attachants, même si l'auteur a parfois tendance à verser dans la caricature.

vendredi 11 novembre 2016

Un peu plus loin sur la droite

Un petit Fred Vargas de temps à autre, rien de tel pour se reposer entre deux tomes de Proust. Avec cette enquête, pas d'Adamsberg présent. Notre héros est Louis Kehlweiler. Ex-policier, il a des indics dans tous les coins de Paris. Notre enquête débute avec un os humain trouvé dans une crotte de chien. Mais pas de corps auquel raccrocher l'os... Louis poste son archiviste, Marc Vandoolser, pour repérer les chiens qui passent et leurs maîtres. Marc est historien, médiéviste, et peine à joindre les deux bouts. Il n'hésite donc pas à rejoindre quelque peu le XXe siècle pour subvenir à ses besoins. 

L'os et les archives mènent Louis jusqu'en Bretagne, dans une petite ville où vit justement un de ses grands amours. La suite de l'enquête continue avec Marc mais aussi Mathias, préhistorien.

Un roman plein d'humour et de sensibilité, comme on les apprécie chez Vargas, qui m'a introduit aux fameux "évangélistes", ces historiens qui s'adonnent aux joies de l'enquête policière pour se changer des recherches historiques. 


lundi 31 octobre 2016

Sodome et Gomorrhe

Charnay, Liseuse
Je poursuis mon petit rythme dans La recherche malgré une motivation en baisse. Pourquoi s'attarder tellement dans les salons, à partager tant de médiocrité ? Pourtant le début m'a étonnée, non pas à cause de la découverte par le narrateur de l'homosexualité de Charlus mais par la description de la scène telle qu'il la perçoit, auditivement. Beaucoup de soupçons d'inversion dans ce tome, afin de savoir qui en est et qui n'en est pas. L'autre élément fort, c'est toujours les salons qu'hante notre héros, qu'il s'agisse de ceux des Guermantes ou des Verdurin.

Mais ce qui a plus compté dans ma lecture, c'est la douleur du décès de la grand mère, qui n'est perçue qu'au retour à Balbec. Et les jeux étymologiques autour des noms de villages normands.
La relation avec Albertine bat son plein même si le lecteur se perd de crise de jalousie en soupçons et de ruptures en retrouvailles.

Bref, c'est un tome assez sombre autour de la sexualité et de la mort, des vanités et de l'envie. On comprend mieux qu'il porte ce terrible titre biblique car il en annonce tous les excès.

Challenge classique

"Et comme les impressions qui donnaient pour moi leur valeur aux choses étaient de celles que les autres personnes ou n'éprouvent pas, ou refoulent sans y penser, comme insignifiantes, et que, par conséquent, si j'avais pu les communiquer elles fussent restées incomprises ou auraient été dédaignées, elles étaient entièrement inutilisables pour moi et avaient de plus l'inconvénient de me faire passer pour stupide aux yeux de Mme Verdurin, qui voyait que j'avais gobé Brichot, comme je l'avais déjà paru à Mme de Guermantes parce que je me plaisais chez Mme d'Arpajon".

vendredi 28 octobre 2016

The restaurant at the end of the universe

Avec ce titre, je m'attaque enfin à la suite du Guide galactique... Et si le premier tome m'avait beaucoup fait rire, je suis restée assez insensible à l'humour de la suite. Peut-être parce que les blagues sont quasi les mêmes. Seul le chat du maître de l'univers m'a fait sourire, à cause de Schrödinger.

Ce roman commence par une course poursuite entre Zaphod Beeblebrox, ex-président de la Galaxie, et les Vogons, deux secondes après la fin du livre précédent. Immobilisé par une demande incongrue d'Arthur Dent, le vaisseau ne peut pas utiliser son "improbability drive", trop occupé à préparer du thé (oui, le roman est anglais). Mais qu'à cela ne tienne, un grand père de Zaphod leur sauve la mise. L'aventure se poursuit d'un côté pour Zaphod, qui cherche toujours celui qui gère les règles de l'univers, sur diverses planètes. Le petit groupe se retrouve cependant au Dernier restaurant avant la fin du monde, qui rejoue chaque soir la fin du monde. Suite à ce repas bien arrosé, les amis décident de voler un joli vaisseau. Et se retrouvent pris au piège...


Un roman de Douglas Adam toujours aussi délirant mais moins plaisant selon moi.

mardi 25 octobre 2016

L'avenir de l'eau

Sous-titré "Petit précis de mondialisation II", cet ouvrage d'Erik Orsenna est une enquête dédiée à l'eau dans le monde, à sa gestion, à sa disparition et, au contraire, à sa multiplication. On commence avec un "Portrait du personnage". Petit passage par quelques phénomènes propres à la demoiselle. Puis très vite, commence notre voyage. Nous allons suivre notre auteur, d'abord en Australie, puis à Singapour, en Inde, au Bangladesh, en Chine, en Israël puis en Afrique, Amérique et Europe avec des cas moins détaillés.


Avec sa plume très agréable, comme toujours, Orsenna nous introduit à la complexe problématique de l'eau sur notre planète, n'hésitant pas à simplifier ses données pour le lecteur. Et à les rendre passionnantes. Parce que même si le sujet t'intéresse, tu reste un peu baba devant tout ce qui sort chaque jour sur le thème. 

L'essai se termine sur une conclusion douce-amère, à savoir que le problème de l'eau n'est malheureusement pas l'unique défi du XXIe siècle...

S'il m'a beaucoup plu lors de sa lecture, je sors un peu déçue de l'ouvrage car je n'en retiens pas grand chose. Je ne sais pas si c'est parce que l'auteur se plait à conter ses aventures et ses rencontres en plus de son enquête, si je n'ai pas été assez attentive... Mais j'ai l'impression d'avoir simplement fait un joli voyage, sans rentrer dans le cœur des questions de l'eau. C'est assez bizarre cette impression de survol. Incapable de savoir si c'est mon état d'esprit à la lecture, pourtant très intéressée par l'idée de mieux connaitre l'eau, ou le livre en lui-même, je suis curieuse de savoir ce qu'en ont pensé d'autres lecteurs !

mercredi 19 octobre 2016

La Sociedad del Cansancio

Le philosophe coréen allemand Byung-Chul Han a vu les ventes de son petit ouvrage exploser à la publication. Enfin, pour un ouvrage de philo. Il ne fait certainement pas le même chiffre d'affaire que Dan Brown. Personnellement, je ne l'ai pas vu passer et ce n'est que maintenant que je le découvre. En espagnol qui plus est...

Remouleur, Malevitch

Il se compose des parties suivantes :

El Prometeo Cansado
La violencia Neuronal
Mas Alla de la Sociedad disciplinaria
El aburrimiento profundo
Vida activa
Pedagogia del Mirar
El Caso Bartleby
La sociedad del Cansancio


L'essai débute avec une analyse de ce qu'était la société du XXe siècle. L'auteur parle d'un processus immunologique c'est-à-dire de défense contre tout ce qui est étranger, à l'image de la Guerre Froide. Si tu n'es pas avec nous, c'est que tu es contre. Cette protection contre l'ennemi se lit dans tous les aspects de la société, qu'il s'agisse de l'histoire, du droit, de la médecine, etc. C'est une disposition tout à fait contraire à la globalisation, qui dresse des murs plutôt que des ponts. 
Ce procédé de "négativité" est aujourd'hui remplacé par la "positivité", qui au lieu de rejeter, inclut. Mais asphyxie par la saturation du semblable, du même. 

D'une société de la discipline et du devoir telle que la décrit Foucauld, on passe à une société du rendement et du pouvoir, du "Yes, we can". Une société qui produit des échecs aussi. Devant cette course au rendement, l'homme moderne se fatigue de chercher à devenir soi-même, de travailler et de s'exploiter librement... jusqu'à la dépression. Il se confronte à sa liberté obligatoire et à sa libre obligation de maximiser le rendement ! Au travail, bien sûr, qui devient l'unique absolu mais aussi dans ses loisirs. Pas question de ne rien faire, de s'ennuyer. De toute façon, il existe tellement de stimulus extérieurs que ce n'est même plus possible de ne rien faire. Et cette abondance de stimulus, qui va jusqu'à l'excès, n'est pas forcément preuve de progrès. C'est l'animal sauvage qui est tout le temps aux aguets, qui a besoin d'une attention fragmentée, pour veiller en même temps sur sa proie, sa femelle et ses prédateurs... et assurer sa survie. Au contraire, l'ennui pour notre auteur, est nécessaire pour sortir de la répétition et créer quelque chose de neuf. 
Cette déferlante d'activités va de pair avec l'éphémère... et conduit à un monde superficiel, qui manque d'être. Plus d'emphase, de colère, de passion... au milieu de cette dispersion. La pensée devient un simple calcul, comme celui des ordinateurs, mais ne conduit plus à une intériorité. Pour cela, il faudrait revaloriser la vie contemplative, l'ennui, le repos du dimanche, le sabbat où il est interdit d'agir, et peut-être la négativité, c'est à dire de fait de lutter contre quelque chose, de savoir dire non plutôt que de se noyer dans un relativisme et un égoïsme solitaire, étouffant et impuissant. 

Cet essai court mais puissant m'a beaucoup interrogée sur mon rapport au devoir et au travail, à cette nécessité de se réaliser à travers d'une activité économique. A cette valeur de notre société pour laquelle seul le succès compte et où l'épanouissement doit passer par le travail. J'ai noté toutes les pressions que l'on peut subir lorsqu'on n'a pas de boulot, de la part de la société mais aussi de soi-même. J'ai aussi questionné mon rapport à l'ennui, mon besoin de sortir mon téléphone ou mon bouquin dès qu'il faut patienter, mon impatience devant un jour sans activité prévue, mon besoin de faire quelque chose pour que la journée vaille quelque chose. Mais je connais aussi l'importance des moments de calme, le goût d'une retraite spirituelle au rythme d'une communauté religieuse. Et la valeur que ces pauses permettent de donner à toutes nos activités galopantes, qui, sans ce recul, passent semblables et stériles.

mercredi 5 octobre 2016

Douze femmes

Voici un recueil de Paul Feval qui rend honneur à la vertu de jolies femmes. La majorité de ces contes se déroule en Bretagne ou sur la route de la Normandie. Terre de preux et de piété. Certaines nouvelles sont médiévales, d'autres révolutionnaires, d'autres encore XIXe. Chacune d'elle gravite autour d'un ou plusieurs personnages féminins.

Eve: Échange de lettres entre deux amis qui se sont promis de ne jamais se marier. L'un d'eux tombe fatalement et follement amoureux d'une femme mariée... 
Gaité : Après une introduction sur les bons mots que l'on peut échanger avec les rois, petit conte sur une fille trop pure et fragile.
Fleur-des-Batailles : Malédiction de ces femmes qui perdent toute famille au cours des révolutions qui agitent le siècle et déciment les hommes. 
Francine : Conte médiéval d'un bel aristocrate et d'une fleur des champs, protégée par le fil de la Vierge, fil d'araignée léger qui veille sur la vertu. 
Marina : Dans l'Italie de la Renaissance, Marina et Francisco s'aiment tendrement. Mais il décide de partir... La belle dépérit, persuadée d'être maudite par la Vierge.
Mariole : Une belle enfant sauvée des eaux lors d'une grande marée et la lutte de deux jeunes hommes pour son amour.
Clémentine : Lors d'une soirée où toute l'élite littéraire du temps se réunit, Nodier conte la cocasse histoire de son première amour, Clémentine.
Claire : La belle Claire, marquise de Jaucourt, reçoit des lettres d'amour de son cousin. Le jeune fou décide de lui rendre visite en pleine nuit alors que l'époux revient. La chaste épouse conduit alors Raymond dans une chambre abandonnée du château pour le cacher. Mais cette chambre est dite hantée... 
Miss Anna : Plus que l'histoire d'Anna, c'est celle du banquier Lowter qui nous est contée. Cet anglais habité par le spleen a tout tenté pour se désennuyer mais rien n'y fait. Il est donc temps de se suicider...
Ernestine Quesnot : Il se passe des événements bien curieux dans cette diligence qui file à tout allure vers la Normandie. Poursuite de jeunes amants et héritage, tous les ingrédients d'un joli vaudeville sont réunis. Avec l'étonnant notaire, Mr. Quesnot, dont les mimiques sont hilarantes. 
Mademoiselle de Presmes : Une aventure du sieur Bechameil, amoureux de la bonne chère, et de la belle Aline. Sauf que la belle n'est pas fan du gros intendant royal de l’impôt de Louis XV et lui préfère son officier de cousin.
Juliette : La famille Sidoux des Moraindières accueille sous son toit tous les légitimistes de Rennes (ou presque). Neuf jeunes gens qui n'ont d'yeux que pour la gentille Juliette. Sauf que seul le plus offrant pourra la mériter.

Bien entendu, il n'est question dans ce recueil que de jeunes femmes fragiles, languides, faibles, qui n'existent souvent que par les hommes qui les chassent. Une vision très petite fleur romantique qui fatigue un peu la lectrice contemporaine.


vendredi 30 septembre 2016

Paris versus New York : A Tally of Two Cities

Pour terminer ce mois américain, j'avais envie de vous faire découvrir un livre super esthétique. Plus qu'à lire, ce livre de Vahram Muratyan est du style à feuilleter, à poser sur une table de salon et à commenter avec mauvais esprit ! De préférence entre français ;) Ou avec des potes américains ? Bref, c'est un match entre la baguette et le bagel, la ballet et le basket, la ville lumière et la big apple...


Chaque page met en scène une spécialité de Paris et une de New York, dans un style graphique, sans chichi, aux couleurs vives posées en aplat.


Pour en voir plus, jetez un oeil sur son blog !

jeudi 29 septembre 2016

The Pupil

Une dernière nouvelle de Henry James pour terminer la vague de classiques américains. Je crois que P.K. Dick et Charlotte Perkins Gilman, ce sera pour plus tard car je ne terminerai pas mes lectures ce mois-ci.

Dans cette nouvelle qui traite de l'enfance dans un contexte hostile, on reste dans la veine de Maisie
Pemberton entre dans la famille Moreen comme professeur du plus jeune garçon, Morgan. Il est un peu inquiet car la question des gages n'a pas été évoquée. Timide, il n'ose pas aborder le sujet. Mais quelques sous offerts gracieusement et le train de vie de la maison le rassurent. Ce n'est que lorsqu'il voit toute la famille, et lui avec, fuir pour un lieu lointain, changer sans cesse de style de vie et d'entourage, qu'il comprend qu'il est coincé dans un nid d'aventuriers sans le sou... Et sans morale. 
Et faible de caractère comme il est, notre jeune homme a bien du mal à tenter d'imposer des conditions. Sans compter qu'il est très attaché à son jeune pupille et que les parents en profitent. 


Une nouvelle où l'enfant, encore une fois, est plus malin qu'il ne semble et où les parents sont un contre-exemple de moralité et de maturité. Plus tragique que Maisie, cette nouvelle est aussi ambiguë sur les relations qui se tissent entre tuteur et pupille...

mercredi 28 septembre 2016

What Maisie knew

Je poursuis ma lecture de Henry James et je profite du mois américain pour terminer ce titre qui patientait dans ma PAL depuis des années ! Non qu'il ne me tentait pas, mais j'appréhendais un peu le bon classique tout en anglais. C'est un peu bête, non ?


Maisie est une petite fille, héroïne de ce livre, qui en sait un peu trop pour son âge. Après le divorce de ses parents, qui ne cessent de se livrer avec bonheur à l'adultère et tentent de se faire le plus de mal possible, Maisie devient un enjeu. Ballottée entre la maison de sa mère, Ida, et celle de son père, Beale, elle observe avec intérêt le comportement des adultes. Car bien entendu, le divorce ne rend pas ses parents plus moraux. Et l'on s'effraie de voir que la gouvernante choisie par Ida, Miss Overmore, s'intéresse beaucoup à Beale. Et que Ida disparaît sans plus donner de nouvelles, et revient mariée à Sir Claude... Bref, c'est tout sauf joli ce qu'observe Maisie. Une seule personne semble s'inquiéter de la formation du sens moral de la fillette, Mrs Wix, la gouvernante qui remplace Miss Overmore. Bon, c'est pas la panacée non plus cette gouvernante. Elle est plutôt ridicule. Mais au moins, elle ne cherche pas à flirter avec qui que ce soit. Car vous vous doutez bien que les nouveaux époux ne resteront pas bien longtemps fidèles et que l'histoire se répétera. A ce détail près que Maisie ne compte plus pour personne, à l'exception de Sir Claude, charmant mais faible... bref, il n'y a pas beaucoup d'adultes fiables dans ce livre.

A travers le regard de Maisie, on découvre une société décadente, rongée par la frivolité, l'argent, les plaisirs éphémères... Il n'y a pas de règle sinon celle de son perpétuel divertissement. La lucidité de la fillette, sa manière de s'imprégner de ce qu'elle voit effraie. Elle manie le non-dit avec un art qui dépasse bien des adultes ! Et l'on s'émerveille de la finesse psychologique de James pour construire un tel roman, pour imaginer une petite fille si sensible et intelligente qu'elle en devient presque malsaine. A moins que ce ne soit le lecteur, par sa compréhension de ce que cachent les apparences, qui n’interprète ce que voit Maisie ? En tous cas, la jeune demoiselle en grandissant nous montre qu'elle est loin d'être si innocente qu'elle ne le montre à ses parents. D'ailleurs, il y a chez Henry James un traitement particulier de l'enfance, qui ne croit pas à l'innocence. Il y voit plutôt des adultes qui n'auraient pas encore construit un quelconque sens moral. Des êtres perméables. C'est très dérangeant. Mais aussi très intéressant !

mardi 27 septembre 2016

Who moved my cheese ?

Cet ouvrage de Spencer Johnson n'est pas un roman, il s'agit plutôt d'un bouquin de motivation à l'américaine. A partir d'une petite histoire, un groupe d'amis analyse ses réactions devant les changements qui adviennent à la fois dans leurs vies professionnelles ou personnelles. La fable met en scène deux souris, Sniff et Scurry, et deux humains, Hem et Haw. Les quatre sont enfermés dans un labyrinthe et cherchent du fromage. Tout se passe bien jusqu'à ce que disparaisse le fromage. Si les souris s'adaptent rapidement et replongent dans le labyrinthe à la recherche d'un nouveau fromage, les humains mettent plus de temps... Ce sont les réactions de Hem et Haw que nous observons de plus près.

S'ensuit une discussion entre le groupe d'amis qui se reconnait dans les quatre personnages et examine ses capacités d'adaptation. Ce qui fait aussi réfléchir le lecteur bien entendu. 

Voici les grandes leçons : 
- Change Happens "They Keep Moving The Cheese"
- Anticipate Change "Get Ready For The Cheese To Move"
- Monitor Change "Smell The Cheese Often So You Know When It Is Getting Old"
- Adapt To Change Quickly "The Quicker You Let Go Of Old Cheese, The Sooner You Can Enjoy New Cheese"
- Change "Move With The Cheese"
- Enjoy Change! "Savor The Adventure And Enjoy The Taste Of New Cheese!"
- Be Ready To Change Quickly And Enjoy It Again "They Keep Moving The Cheese"

Un petit livre intéressant sur la politique et le management du changement, dont je retiendrai surtout qu'il vaut mieux rire de soi-même que de se crisper sur le passé (oui, c'est pas très compliqué). Le côté très américain et très orienté succès économique de cet ouvrage peut gêner. Il y a un aspect de manipulation des employés d'une entreprise et de justification du licenciement qui est plus que dérangeant. Et tout cela n'aide pas vraiment à repérer ton "fromage" c'est-à-dire tes objectifs dans la vie. Mais permet de poser un regard amusant sur la psychologie de l'adaptation !


jeudi 22 septembre 2016

La conquête du courage

Stephen Crane nous invite à suivre le jeune Henry Fleming, fraîchement engagé pour défendre son pays. Ce bleu se découvre à mesure qu'évoluent les batailles : fier, il devient terrifié ; blessé, il se sent glorieux ; au cœur de la bataille, il perd le fil et se transforme en machine, faite pour tirer, avancer, tuer ! 
A ses côtés, d'autres jeunes gens, plus ou moins orgueilleux ou terrifiés, que l'on suit de plus loin, connaissant à peine leurs noms. Il y a aussi les morts, que l'on croise de plus ou moins près mais toujours décrits avec pas mal de réalisme, et qui ont un effet bœuf sur notre Henry.

Ce classique du réalisme américain, qui se déroule pendant une bataille de la guerre de Sécession, m'a effectivement frappé par son vérisme, non seulement dans les choses de la guerre mais aussi de la nature. Toutefois, j'en sors un peu ennuyée, sans véritable bonheur de lecture.



samedi 17 septembre 2016

La petite dame de la grande maison

Jack London m'a encore enchantée avec ce titre. Je ne renoue pas avec les aventures de mon enfance mais je découvre les romans plus adultes de cet écrivain et aventurier. 

L'histoire commence avec la jeunesse de Dick Forrest, héritier d'une immense fortune, qui n'a qu'une envie, vivre. Il abandonne ses richesses et part faire la route, travaillant ici et là, sur terre ou en mer. Il revient à la veille de sa majorité et décide de se former dans tous les domaines qui l'intéressent, recherchant toujours l'excellence. Tiens, tiens, ça ne vous rappelle pas Martin Eden qui se gave de science ?


À la quarantaine, maître d'un joli domaine pour lequel il travaille comme un fou mais avec une discipline surprenante, il est heureux. Pas pour ses chevaux hors du commun, ses mines, ou ses troupeaux, mais pour son bonheur domestique. Il vit avec son aventurière et insomniaque d'épouse, la surprenante et sexy Paula. Dans cette maison toujours pleine d'invités, on se divertit, on joue, on danse... Et tout le monde n'a d'yeux que pour Paula. Les hommes en sont amoureux et les femmes l'admirent, voire la jalousent. Quand Evan Graham, grand ami de Dick, vient passer un peu de bon temps, il tombe fou amoureux de son hôtesse. Et elle ? Elle reste mystérieuse...

Une histoire d'amour dans un monde très années 30, façon Fitzgerald, où l'on aime à oublier la mort et la tristesse. Bien sûr, on est dans un triangle amoureux classique et l'intrigue n'est pas très poussée. Mais certainement très choquante pour l'époque de sa publication car Paula est une femme libre, que Dick laisse vivre, penser, flirter... prendre ses responsabilités. L'ambiance du roman est à la fois légère (pour la manière de vivre) et pesante (pour la psychologie des personnages et le monde extérieur qui nous parvient à travers des courriers de Dick) et ses personnages hyper attachants.