samedi 31 mai 2014

Marketing du luxe. Stratégies d'entreprises dans l'univers du luxe

Merci aux éditions De Boeck pour cet ouvrage de Jean-Louis Martinez. Celui-ci s'adresse à des étudiants ou à des professionnels du marketing.

Ce livre, préfacé par Alain Nemarq, nous fait entrer dans l'univers du luxe. Le luxe, pour lui, c'est une capacité à satisfaire un rêve. Ce n'est pas forcément une question d'argent et de richesse, mais aussi de ce qui vous fait rêver.

Luxe, exposition Cartier


Divisé en dix chapitres, cet ouvrage analyse dix marques de luxe : Mauboussin, Prada, Messika, Relais et Châteaux, Edouard Nahum, Chantal Thomass, Payot, Baccarat, John Paul et Michel Herbelin. Pour chacun des cas, l'historique de la marque est présenté ainsi que ses produits phares et ses cibles. Le contexte concurrentiel, social et économique est abordé. Parfois, la politique de communication est aussi explicitée. 

Chaque chapitre propose une mission à mener par l'étudiant. Il s'agit de résoudre des problèmes divers, qui vont du rajeunissement de l'image d'une marque, à la diversification de ses cibles en passant par la stratégie de distribution et d'implantation de la marque. Conçu comme un manuel d'entrainement à la prise de décision, il ne valorise non pas une solution mais l'exercice intellectuel lui-même, qui peut donner lieu à des résultats très divers selon les axes choisis. Jean-Louis Martinez rappelle ainsi qu'un problème est toujours situé à l'intersection de questions techniques, humaines, financières, politiques, de concurrence, de marketing et d'environnement.

Illustré par de nombreuses données, organisées sous forme de graphiques ou de tableaux, chaque cas propose un abondant matériel qui permet de réaliser un diagnostic et de proposer une stratégie. Le fait de se baser sur des marques réelles donne aussi un véritable poids à l'exercice, l'inscrivant dans notre environnement connu. 

Si pour ma part je n'ai pas pris le temps de répondre à chaque cas, j'ai trouvé les missions intéressantes car elles demandent souvent de faire preuve de bon sens et de bonne lecture des cas, plus que de connaissances. Cet ouvrage constitue ainsi un outil indispensable aux étudiants qui se destinent à des carrières dans la marketing du luxe car il les met face à des cas concrets qui demandent rigueur et capacité à prendre des décisions. Bref, un ouvrage très spécialisé bien pensé et riche d'informations !

vendredi 30 mai 2014

L'enchanteresse de Florence

Merci à Miss Léo de m'avoir accompagnée dans cette lecture du roman de Salman Rushdie, qui patientait sur ma PAL depuis un certain temps. 

Inde, Fatehpur Sikri

Au cœur de cette histoire, la cour d'Akbar, à Fatehpur Sikri
Un étranger, vêtu d'un manteau aux mille couleurs, monté sur un char à bœufs, pénètre dans la ville pour parler à l'empereur. Cet homme blond, un peu magicien, un peu voleur, polyglotte et charmeur, vient révéler un secret à Akbar. Une histoire étonnante, qui rapproche la cour Moghole de la ville de Florence

C'est l'histoire de trois amis florentins. 
Non, c'est l'histoire d'une princesse imaginaire. 
Et d'une princesse moghole oubliée, aux grands yeux noirs. 
On rencontre Dracula. 
Savonarole. 
Machiavel. 
C'est l'histoire du Mogor dell'Amore. 
Bref, c'est un peu les Mille et une nuits, des histoires qui se suivent, s’emboîtent, s'interrompent pour laisser place à Akbar, à la façon dont il accueille cette histoire, dont il en tire quelques leçons... Cela vous rappellera certainement la façon dont Rushdie aime à nous conter des histoires, que ce soit dans Haroun et la Mer des histoires ou dans Luka et le feu de la vie.

Ce roman, c'est un roman pour ceux qui aiment les contes, qui aiment l'histoire, qui aiment les histoires.  Il y a de la magie là-dedans, qu'il s'agisse de celle de l'enchanteresse ou des sorcières, des parfums captivants ou des femmes qui existent par la force de l'imagination d'un roi. Il y a aussi des dieux, des puissances supérieures et magiques qui régissent le monde, et un destin qui peut changer, avec le sort, les récompenses et les punitions divines. Seul le temps, qui ne peut se tordre ou s'arrêter est une limite à cette magie. L'auteur parsème le tout de quelques considération philosophiques. Salman Rushdie tient le monde entier dans ce roman. Un monde plein de bouleversements, de héros et de guerres. Et le lecteur est pris. Il est aussi impatient que l'empereur. Il veut connaitre le fin mot de cette histoire. 

Quelques réserves cependant : je regrette que notre Mogor dell'Amore ne nous apparaisse plus, après la deuxième partie, que par les yeux d'Akbar. J'aimais trembler pour son insolente vie, suivre ses larcins et ses mensonges. On ne lit bientôt plus que son histoire derrière laquelle, insensiblement, il disparaît. 
Je regrette aussi que cette histoire se passe surtout du côté des grands de ce monde, là où les hommes peuvent voyager, lire, aimer. Le peuple, florentin ou indien, n'y apparaît guère que comme une foule imprévisible, ensorcelée par l'enchanteresse, vivante ou morte, hystérique et criant à la sorcellerie après la mort d'un prince Médicis, s'abreuvant de vin et de femmes après la mort de Savonarole,... bref, une bête mouvante. 

Dans les bons côté, il faut noter une importante bibliographie à explorer en fin d'ouvrage (de quoi faire grimper la PAL) ainsi que des liens tissés avec la culture classique : il y a un peu de Roland Furieux dans cette histoire (livre qui est dans ma PAL et que j'ai envie de découvrir, quelqu'un est motivé pour une lecture commune ?) et Akbar distille des conseils de Machiavel, l'air de rien. 

Plus qu'un roman d'aventure, plus qu'un roman historique, plus qu'un roman d'amour, ce livre foisonnant touche à tous les genres, porté par la plume poétique de Rushdie. 

jeudi 29 mai 2014

Une femme sans importance

Voilà plusieurs années que je n'avais pas lu Oscar Wilde. Quelle erreur ! C'est tellement délicieux d'ironie, cela nous plonge si vivement dans la société anglaise, que c'en est exquis ! J'avais également oublié à quel point ses pièces fourmillaient d'aphorismes. Si vous cherchez des citations sur le mariage ou sur l'amour, c'est la pièce idéale pour puiser des bons mots un peu grinçants : "Les hommes se marient par lassitude ; les femmes par curiosité. Les uns et les autres sont déçus" ou "On devrait toujours être amoureux. C'est la raison pour laquelle on ne devrait jamais se marier".

Epoque victorienne, mère et berceau


La pièce se déroule chez Lady Hustanton puis chez Mrs. Arbuthnot
Parmi les invités de Lady Hustanton, Lady Caroline, qui passe son temps à donner des ordres à son mari, Sir John. Lequel disparaît souvent... On croise aussi Mr. Illingworth, un dandy qui ne parle que par aphorismes. Et qui s'entend bien avec Mrs. Allonby, douée tout comme lui d'un brillant sens de la répartie et d'une conception un peu lâche de la morale. Lady Stutfield au contraire est plutôt naïve et romanesque. Et Miss Hester Worsley est une héritière américaine. Tout ce petit monde papote tranquillement, tenant des propos critiques sur les absents et hypocrites avec les présents. Sauf Hester, qui dit ce qu'elle pense. 

Deux personnages font basculer l'intrigue : Gérald Arbuthnot, jeune garçon ambitieux, qui vient d'être engagé comme secrétaire par Mr. Illingworth sans savoir qu'il s'agit de son père et Rachel Arbuthnot, la mère de Gérald, qui a été courtisée et abandonnée par Mr. Illingworth. 

Enfin, l'archidiacre, Mr. Daubeny, est absolument hilarant lorsqu'il conte les déboires de sa femme impotente mais stoïque. C'est de l'humour noir bien entendu, mais cela reste drôle.

Sous des dehors assez classiques, cette comédie propose en creux une vision ironique de la société victorienne, de ses excès et de ses futilités. Les hommes sont des dandys endettés et qui ne travaillent pas. Les femmes sont infidèles ou bavardes. Seule Hester vient apporter un peu de moralité dans cette société, ce qui la fait rire : le puritanisme américain n'a pas bonne presse à Londres. 
L'ensemble est très agréable à lire et doit l'être plus encore à regarder ! Je n'ai encore jamais vu une pièce d'O. Wilde au théâtre, voilà qui me donne envie d'y remédier. 

mercredi 28 mai 2014

La transparence et la vertu

Merci aux éditions Albin Michel pour cet essai intelligent et prenant de l'avocat Daniel Soulez Larivière
Fenêtre transparence

En voici le sommaire : 
1. Tout et son contraire
2. L'homme dans le citoyen
3. Le temps du secret et le secret du temps
4. Le lanceur d'alerte, ce nouveau héros
5. De la transparence de la censure à la censure de la transparence
6. La transparence a une histoire
7. La politique de la transparence
8. Comment la solitude démocratique se nourrit de la transparence
9. Quand la réalité dépasse le fantasme
10. Le juge, censeur moderne
En guise de conclusion

Qui peut croire qu'il a encore une vie privée aujourd'hui ? Avec la NSA qui écoute le monde entier ou l'usage des réseaux sociaux qui incite à raconter sa vie, on peut encore se demander s'il reste des secrets. Il y a une dictature de la transparence assimilée à une vertu, comme si le secret était un péché. Le journalisme notamment part à la chasse aux secrets et se met dans une position de défenseur de l'intérêt public.

Ainsi, quand le maître d'hôtel de Mme Bettencourt l'a enregistrée, Mediapart a diffusé des extraits de ces CD puis a dû les ôter de son site. Pourquoi ? Le journal n'a pas eu le droit de publier ces informations car elles ont été recueillies de façon illicites. Daniel Soulez Larivière rappelle que le journaliste justicier n'est pas celui qui doit juger. Par contre, le juge d'instruction pourra utiliser des enregistrements illicites pour le procès et c'est à ce moment que ces informations pourront être utilisées et connues du grand public. Mais combien de jugements pour en arriver là ? La justice parait manquer de cohérence.

Le paradoxe principal de la transparence, c'est celui qui s'applique aux états : ceux-ci observent et espionnent la vie des citoyens, de façon complètement anti-démocratique, mais ne supportent pas d'être espionnés à leur tour par des dénonciateurs comme Snowden. Comment vivre sous le regard potentiel de tous sans risquer la paranoïa ? Ne risque-t-on pas un climat de méfiance générale ? A mesure que s'accélère ce besoin de transparence, le secret se fait de plus en plus précieux. Rappelons tout de même que Google a déclaré que la vie privée pourrait être une anomalie... De quoi faire réfléchir un peu à ce que signifie transparence. Par exemple, certaines entreprises (et états) favorisent l'auto-investigation et la délation au nom de la transparence. Sans parler du Patriot Act qui permet aux renseignements américains d'accéder à toutes les données informatiques des entreprises et des particuliers. Big Brother n'est pas loin, non ? 

A travers une étude qui se nourrit d'histoire et de philosophie, D. Soulez Larivière analyse ce qu'est la transparence. Dotée d'une dimension presque affective, elle n'est pourtant qu'un outil, comme l'est le secret. Remontant à l'Egypte d’Akhenaton puis à la République romaine, l'auteur analyse ce qu'est la censure et le regard qui voit tout. La censure romaine organise la société, en dévoilant et en punissant. Puis, d'outil, la transparence devient vertu. C'est celle de Louis XIV à Versailles qui se donne à voir et voit ce que fait la noblesse qui l'entoure. Régime absolutiste. Mais la politique ne se nourrit pas de transparence, bien au contraire. C'est le secret qui en est l'essence, notamment dans la diplomatie, dans les luttes de pouvoir, etc.  

Et aujourd'hui, les journalistes ou Wikileaks ne sont-ils pas les nouveaux censeurs ? Sauf qu'au lieu d'organiser, ils dénoncent, ils jugent et mettent l'autre en danger. Ils prennent la place de la justice. Et ces affaires très médiatisées sont-elles encore jugeables ? Voici quelques unes des questions que pose ce livre.

Par cet essai, Daniel Soulez Larivière nous interroge sur une société orwellienne, soumise aux regards multiples sans que cela ne la dérange. Il pointe les dangers d'une transparence à tout prix et propose le juge comme garant de l'équilibre entre transparence et secret. Il rappelle l'importance de la visibilité de cette justice : "Not only must Justice be done ; it must also be seen to be done". Un livre érudit, bourré de références, qui fait réfléchir à ce qu'est l'intimité et à cette obligation de la transparence.

mardi 27 mai 2014

Pavane

Merci au Livre de Poche pour ce roman de Keith Roberts ! 

Pavane est une étonnante uchronie constituée de plusieurs histoires qui se succèdent. A priori sans rapport entre elles, toutes se rassemblent pour dessiner l'histoire d'une Angle-Terre qui change, lentement, comme la danse qui donne son titre au livre. 

Nous sommes en 1968, Jesse Strange gère une entreprise de transport de marchandises. A bord de la Lady Margaret, une locomotive puissante, il dessert les châteaux, les forteresses et les villes en biens divers. Puis nous suivons Rafe, un jeune garçon amoureux des sémaphores qui appartient à la guilde des signaleurs, avant de rencontrer Becky, une fillette qui vit en bord de mer et rêve de bateaux blancs. Puis vient le frère Jean, un moine qui dessine divinement. Enfin, nous clôturons cette histoire avec Margaret, Eléanor et John. 

Eglise, intérieur, La Lucerne

Chaque récit est un petit mouvement qui fait bouger l'histoire. Une histoire qui n'est pas tout à fait la même que la nôtre depuis que Rome dirige le monde. En effet, figurez-vous qu'Elizabeth Ie a été assassinée et que l'Invincible Armada n'a pas sombré. Ce qui a permis au Vatican de s'imposer (d'ailleurs, toutes les villes portent des noms latins). Il empêche les progrès techniques (le béton, l’électricité) et menace d'excommunication les contrevenants. L'idée est de contenir l'homme, de ne pas le laisser prendre trop d'indépendance. Cela passe par l'Inquisition. Par des règlements. Des interdits. Porté par une belle écriture, ce roman se lit avec grand plaisir. 

lundi 26 mai 2014

Paris 1900, la ville spectacle

Qui aurait pu accueillir mieux que le Petit Palais cette exposition sur Paris 1900 ? Témoignage de l'exposition universelle de 1900, ce bâtiment conserve l'inspiration éclectique de la Belle Epoque.

Paris en 1900, c'est d'abord une exposition universelle qui accueille 50 millions de visiteurs en six mois. Et c'est elle qui nous introduit ici avec ses dessins d'architectures éphémères : portes, pavillons, kiosques. On découvre aussi des décors de Mucha, des maquettes, des mémorabilia, et tout ce qui a pu faire cette exposition. Puis (après avoir admiré les voiles de Loïe Fuller -et la transition sera toujours du même format ensuite, un film des années 1900-) on plonge dans l'Art Nouveau. On retrouve quelques pièces croisées dans l'intro de l'expo Art Déco cet hiver. Et des bijoux, des vases, le mobilier viennent compléter ce rapide panorama d'un style à son apogée. 

Paris 1900 Exposition universelle porte

Cap ensuite sur l'état de l'art en 1900. Avec une présentation conforme à l'époque (à savoir dense), nous prenons conscience dans cette salle de la multiplicité des styles qui cohabitent à la Belle Epoque. L'Impressionnisme lance ses derniers feux, le symbolisme aussi, le style "beaux-arts" domine, tandis que la modernité s'invite par le biais de Rodin, des photographes... et du cinéma. Cet accrochage est fascinant et montre bien l'extraordinaire créativité de la capitale, attirant des artistes venus de toute l'Europe. Bref, on a l'impression de se retrouver dans une de ces salles photographiées dans Le Panorama, cette ancienne revue qui diffusait des photographies en pleine page.

Après l'art, la mode. La section suivante concerne la parisienne (avec dot, mari banquier et temps libre), son chic, ses tenues, ses accessoires, son emploi du temps. Modèle de féminité, la parisienne s'habille plusieurs fois par jour, chaque activité nécessitant la tenue adéquate. Elle fréquente également les maisons de Haute Couture. C'est l'occasion de voir des trésors des collections du musée Galliera, comme un complément de l'expo Roman d'une garde robe : bottines, robes, capes, etc.

Puis l'on passe aux attractions de Paris : la vie nocturne avec ses théâtres (c'est la grande époque de Sarah Bernhardt), ses premiers cinémas, ses maisons closes... La partie sur les prostituées et les grandes horizontales nous fait entrer dans l'intérieur des bordels, bien documenté par des campagnes photographiques. Celle sur les théâtres rappelle l'exposition sur Le Chat noir. Bien entendu, tout cela se conclut sur la rumeur de la guerre qui met fin à cette Belle Epoque.

Après, si vous voulez continuer le voyage, l'appli de l'expo vous guide dans l'exposition permanente du musée, pour y débusquer d'autres pièces majeures des années 1900... Mais sans plus d'explications malheureusement.

Même si j'ai eu la sensation de retrouver régulièrement des parties d'autres expositions dans Paris 1900, je ne peux que saluer l'extraordinaire voyage auquel le Petit Palais nous convie. C'est une exposition longue, complète, qui aborde beaucoup d'aspects artistiques de la vie parisienne. La Belle Epoque est tellement foisonnante que cette exposition parait parfois un peu fourre-tout. Bref, c'est une exposition intéressante qui nécessite d'avoir un certain temps devant soi ! 

dimanche 25 mai 2014

Pourquoi mon âme est-elle triste ?

Pourquoi gémis-tu sans cesse,
Ô mon âme ? réponds-moi !
D'où vient ce poids de tristesse
Qui pèse aujourd'hui sur toi ?
Au tombeau qui nous dévore,
Pleurant, tu n'as pas encore
Conduit tes derniers amis !
L'astre serein de ta vie
S'élève encore ; et l'envie
Cherche pourquoi tu gémis !

La terre encore a des plages,
Le ciel encore a des jours,
La gloire encor des orages,
Le cœur encor des amours;
La nature offre à tes veilles
Des mystères, des merveilles,
Qu'aucun œil n'a profané,
Et flétrissant tout d'avance
Dans les champs de l'espérance
Ta main n'a pas tout glané !

Et qu'est-ce que la terre ? Une prison flottante,
Une demeure étroite, un navire, une tente
Que son Dieu dans l'espace a dressé pour un jour,
Et dont le vent du ciel en trois pas fait le tour !
Des plaines, des vallons, des mers et des collines
Où tout sort de la poudre et retourne en ruines,
Et dont la masse à peine est à l'immensité
Ce que l'heure qui sonne est à l'éternité !
Fange en palais pétrie, hélas ! mais toujours fange,
Où tout est monotone et cependant tout change !

Et qu'est-ce que la vie ? Un réveil d'un moment !
De naître et de mourir un court étonnement !
Un mot qu'avec mépris l'Être éternel prononce !
Labyrinthe sans clef ! question sans réponse,
Songe qui s'évapore, étincelle qui fuit!
Éclair qui sort de l'ombre et rentre dans la nuit,
Minute que le temps prête et retire à l'homme,
Chose qui ne vaut pas le mot dont on la nomme !

Et qu'est-ce que la gloire ? Un vain son répété,
Une dérision de notre vanité !
Un nom qui retentit sur des lèvres mortelles,
Vain, trompeur, inconstant, périssable comme elles,
Et qui, tantôt croissant et tantôt affaibli,
Passe de bouche en bouche à l'éternel oubli !
Nectar empoisonné dont notre orgueil s'enivre,
Qui fait mourir deux fois ce qui veut toujours vivre !

Et qu'est-ce que l'amour ? Ah ! prêt à le nommer
Ma bouche en le niant craindrait de blasphémer !
Lui seul est au-dessus de tout mot qui l'exprime !
Éclair brillant et pur du feu qui nous anime,
Étincelle ravie au grand foyer des cieux !
Char de feu qui, vivants, nous porte au rang des dieux !
Rayon ! Foudre des sens ! Inextinguible flamme
Qui fond deux cœurs mortels et n'en fait plus qu'une âme !
Il est !... il serait tout, s'il ne devait finir !
Si le cœur d'un mortel le pouvait contenir,
Ou si, semblable au feu dont Dieu fit son emblème,
Sa flamme en s'exhalant ne l'étouffait lui-même !

Mais, quand ces biens que l'homme envie
Déborderaient dans un seul cœur,
La mort seule au bout de la vie
Fait un supplice du bonheur !
Le flot du temps qui nous entraîne
N'attend pas que la joie humaine
Fleurisse longtemps sur son cours !
Race éphémère et fugitive,
Que peux-tu semer sur la rive
De ce torrent qui fuit toujours ?

Il fuit et ses rives fanées
M'annoncent déjà qu'il est tard !
Il fuit, et mes vertes années
Disparaissent de mon regard ;
Chaque projet, chaque espérance
Ressemble à ce liège qu'on lance
Sur la trace des matelots,
Qui ne s'éloigne et ne surnage
Que pour mesurer le sillage
Du navire qui fend les flots !

Où suis-je ? Est-ce moi ? Je m'éveille
D'un songe qui n'est pas fini !
Tout était promesse et merveille
Dans un avenir infini !
J'étais jeune !... Hélas ! mes années
Sur ma tête tombent fanées
Et ne refleuriront jamais !
Mon cœur était plein !... il est vide !
Mon sein fécond ... il est aride !
J'aimais !... où sont ceux que j'aimais ?

Mes jours, que le deuil décolore,
Glissent avant d'être comptés ;
Mon cœur, hélas ! palpite encore
De ses dernières voluptés !
Sous mes pas la terre est couverte
De plus d'une palme encor verte,
Mais qui survit à mes désirs ;
Tant d'objets chers à ma paupière
Sont encor là, sur la poussière
Tièdes de mes brûlants soupirs !

Je vois passer, je vois sourire
La femme aux perfides appas
Qui m'enivra d'un long délire,
Dont mes lèvres baisaient les pas !
Ses blonds cheveux flottent encore,
Les fraîches couleurs de l'aurore
Teignent toujours son front charmant,
Et dans l'azur de sa paupière
Brille encore assez de lumière
Pour fasciner l’œil d'un amant.

La foule qui s'ouvre à mesure
La flatte encor d'un long coup d’œil
Et la poursuit d'un doux murmure
Dont s'enivre son jeune orgueil ;
Et moi ! je souris et je passe,
Sans effort de mon cœur j'efface
Ce songe de félicité,
Et je dis, la pitié dans l'âme :
Amour ! se peut-il que ta flamme
Meure encore avant la beauté ?

Hélas ! Dans une longue vie
Que reste-t-il après l'amour ?
Dans notre paupière éblouie
Ce qu'il reste après un beau jour !
Ce qu'il reste à la voile vide
Quand le dernier vent qui la ride
S'abat sur le flot assoupi,
Ce qu'il reste au chaume sauvage,
Lorsque les ailes de l'orage
Sur la terre ont vidé l'épi !

Et pourtant il faut vivre encore,
Dormir, s'éveiller tour à tour,
Et traîner d'aurore en aurore
Ce fardeau renaissant des jours ?
Quand on a bu jusqu'à la lie
La coupe écumante de vie,
Ah ! la briser serait un bien !
Espérer, attendre, c'est vivre !
Que sert de compter et de suivre
Des jours qui n'apportent plus rien ?

Voilà pourquoi mon âme est lasse
Du vide affreux qui la remplit,
Pourquoi mon cœur change de place
Comme un malade dans son lit !
Pourquoi mon errante pensée,
Comme une colombe blessée,
Ne se repose en aucun lieu,
Pourquoi j'ai détourné la vue
De cette terre ingrate et nue,
Et j'ai dit à la fin : Mon Dieu !

Comme un souffle d'un vent d'orage
Soulevant l'humble passereau
L'emporte au-dessus du nuage,
Loin du toit qui fut son berceau,
Sans même que son aile tremble,
L'aquilon le soutient ; il semble
Bercé sur les vagues des airs ;
Ainsi cette seule pensée
Emporta mon âme oppressée
Jusqu'à la source des éclairs !

C'est Dieu, pensais-je, qui m'emporte,
L'infini s'ouvre sous mes pas !
Que mon aile naissante est forte !
Quels cieux ne tenterons-nous pas ?
La foi même, un pied sur la terre,
Monte de mystère en mystère
Jusqu'où l'on monte sans mourir !
J'irai, plein de sa soif sublime,
Me désaltérer dans l'abîme
Que je ne verrai plus tarir !

J'ai cherché le Dieu que j'adore
Partout où l'instinct m'a conduit,
Sous les voiles d'or de l'aurore,
Chez les étoiles de la nuit ;
Le firmament n'a point de voûtes,
Les feux, les vents n'ont point de routes
Où mon œil n'ait plongé cent fois ;
Toujours présent à ma mémoire,
Partout où se montrait sa gloire,
Il entendait monter ma voix !

Je l'ai cherché dans les merveilles,
Oeuvre parlante de ses mains,
Dans la solitude et les veilles,
Et dans les songes des humains !
L'épi, le brin d'herbe, l'insecte,
Me disaient : Adore et respecte !
Sa sagesse a passé par là !
Et ces catastrophes fatales,
Dont l'histoire enfle ses annales
Me criaient plus haut : Le voilà !

A chaque éclair, à chaque étoile
Que je découvrais dans les cieux,
Je croyais voir tomber le voile
Qui le dérobait à mes yeux;
Je disais : Un mystère encore !
Voici son ombre, son aurore,
Mon âme ! Il va paraître enfin !
Et toujours, ô triste pensée !
Toujours quelque lettre effacée
Manquait, hélas ! au nom divin.

Et maintenant, dans ma misère,
Je n'en sais pas plus que l'enfant
Qui balbutie après sa mère
Ce nom sublime et triomphant ;
Je n'en sais pas plus que l'aurore,
Qui de son regard vient d'éclore,
Et le cherche en vain en tout lieu,
Pas plus que toute la nature
Qui le raconte et le murmure,
Et demande : Où donc est mon Dieu ?

Voilà pourquoi mon âme est triste,
Comme une mer brisant la nuit sur un écueil,
Comme la harpe du Psalmiste,
Quand il pleure au bord d'un cercueil!
Comme l'Horeb voilé sous un nuage sombre,
Comme un ciel sans étoile, ou comme un jour sans ombre,
Ou comme ce vieillard qu'on ne put consoler,
Qui, le cœur débordant d'une douleur farouche,
Ne pouvait plus tarir la plainte sur sa bouche,
Et disait : Laissez-moi parler !

Mais que dis-je ? Est-ce toi, vérité, jour suprême !
Qui te caches sous ta splendeur ?
Ou n'est-ce pas mon œil qui s'est voilé lui-même
Sous les nuages de mon cœur
Ces enfants prosternés aux marches de ton temple,
Ces humbles femmes, ces vieillards,
Leur âme te possède et leur œil te contemple,
Ta gloire éclate à leurs regards !

Et moi, je plonge en vain sous tant d'ombres funèbres,
Ta splendeur te dérobe à moi !
Ah ! le regard qui cherche a donc plus de ténèbres
Que l’œil abaissé devant toi ?

Dieu de la lumière,
Entends ma prière,
Frappe ma paupière
Comme le rocher !
Que le jour se fasse,
Car mon âme est lasse,
Seigneur, de chercher !
Astre que j'adore,
Ce jour que j'implore
N'est point dans l'aurore,
N'est pas dans les cieux !
Vérité suprême !
Jour mystérieux !
De l'heure où l'on t'aime,
Il est en nous-même,
Il est dans nos yeux !

 Lamartine

samedi 24 mai 2014

La Belle et la bête à Mogador

Plutôt emballés par Sister Act l'an dernier au théâtre Mogador, nous avons réitéré l'expérience avec le classique de Disney, La Belle et la bête. Je dois dire que j'ai eu un peu de mal à rentrer dans la danse alors que l'Amoureux s'est laissé ensorceler par le château, la Belle et Gaston !

La comédie musicale reprend les chansons du Disney (à l'identique, ouf, pas de paroles étranges façon Roi lion) ainsi que quelques autres, créées pour la scène. Tout se déroule d'ailleurs de façon très similaire au dessin animé de notre enfance. Les décors (parfois un peu vieillots), les costumes, on s'y croirait presque. A part que la bibliothèque (moment fort attendu) est ridicule. 
Alors pourquoi, diable, ai-je mis tant de temps à apprécier le spectacle ? J'ai eu un peu de mal avec Belle. J'ai trouvé certains passages un peu graveleux et vulgaires (merci Gaston). 

C'est la fête Belle et Bete Mogador
DR. C'est la fête, Photo-Brinkhoff Mögenburg ©Disney

Ce qui m'a par contre beaucoup plu, ce sont les serviteurs de la Bête qui poursuivent inéluctablement leur transformation en objets. D'ailleurs, les personnages de Big Ben, Lumière et Mrs. Samovar sont certainement ceux que j'ai préféré. Ils sont drôles, ils sont enjoués... et ils savent faire la fête (et là, Belle danse un cancan, tu comprends pas trop pourquoi) ! Le chanteur qui incarne Gaston est aussi très bien trouvé (il pourra d'ailleurs incarner Danny dans Grease avec sa jolie coiffure). Belle m'a semblé un peu fade, manquant de présence mais elle a une jolie voix. C'est aussi le problème de la Bête, assez peu bestiale finalement...

L'Amoureux a aimé retrouver les chansons originales (et les fredonner sur tout le chemin du retour) ! Il a adoré le casting, à l'exception des deux personnages principaux. L'équipe fonctionne très bien et nous fait entrer dans un autre univers. Et surtout, L'Amoureux est retombé en enfance le temps du spectacle, émerveillé par les décors labyrinthiques du château, surpris par le "pop" du champagne.

Bref, une soirée mitigée, en demi teinte pour moi.

vendredi 23 mai 2014

Au musée du Louvre, le trésor de l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune et les plafonds du XVIIe siècle

Deux expositions vues récemment au musée du Louvre (juste avant la fermeture de "Peupler les cieux"), l'une sur de magnifiques trésors médiévaux (enfin, jusqu'au XVIe siècle), l'autre sur des dessins du XVIIe siècle.


Trésor de l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune


A l'occasion de la restauration du musée de l'abbaye suisse, ses trésors sont exposés au Louvre, pour le plus grand plaisir d'amateurs d'émaux cloisonnés, de réutilisation d'intailles antiques et plus largement d'orfèvrerie. Après une introduction sur l'abbaye, fondée en 515 autour des reliques de Saint Maurice (triste histoire que celle de ce saint : décurion d'une légion romaine issue de Thèbes, il refuse de tuer des chrétiens. Du coup, sa légion se fait massacrer par la légion voisine), on découvre quelques inscriptions funéraires antiques.

Mais c'est après que tout commence... Parmi les pièces les plus splendides, le reliquaire du prêtre de Teudéric, l'aiguière dite de Charlemagne et le vase dit de Saint Martin. L'orfèvrerie du Haut Moyen Âge, c'est incroyable : les émaux d'une couleur vive et chatoyante, qui jouent avec la lumière et épousent la forme de l'objet jusque dans ses courbes ; les objets hérités de l'Antiquité que l'on intègre, l'air de rien, que l'on repense, que l'on sublime ; les tailles en cabochon ; les cloisonnés... Je suis plus que séduite par ces objets qui demandent une grande maîtrise technique et une inventivité folle. Et ce qui me rend encore plus joyeuse (oui, j'ai des petits plaisirs tout à fait étonnants), ce sont les tissus qui ont été retrouvés avec ces objets : morceaux de soieries aux animaux fantastiques et aux personnages mythiques. C'est émouvant de penser aux reliques qu'ils protégeaient.

Puis, on découvre les trésors romans, notamment le chef reliquaire de saint Candide, d'une froide beauté, délicatement martelé et à la barbe ciselée. La châsse des enfants de saint Sigismond, gigantesque, fait aussi partie des merveilles à découvrir. 
Enfin, l'exposition se clôt sur des reliquaires, des coupes, une épée et une statue équestre du saint qui nous mènent jusqu'à la fin du XVIe siècle.

Plus que d'exposer simplement des trésors, cette exposition s'attache à en resituer le contexte de la création, à nommer les donateurs généreux de l'abbaye et à nous introduire à l'art médiéval. Bien entendu, une telle exposition ne peut que vous encourager à aller courir ensuite les rares trésors médiévaux qui nous sont parvenus... Et qui donne envie de découvrir celui présenté au musée Maillol.

AIGUIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE © TRÉSOR DE L'ABBAYE DE SAINT-MAURICE. JEAN-YVES GLASSEY ET MICHEL MARTINEZ
Aiguière dite de Charlemagne © Trésor de l'abbaye de Saint-Maurice. Jean-Yves Glassey et Michel Martinez


Peupler les cieux. Dessins pour les plafonds parisiens au XVIIe siècle


Le département des arts graphiques proposait jusqu'à lundi dernier une très belle exposition de dessins. A travers ceux-ci, le visiteur pouvait découvrir des projets pour des plafonds de l'hôtel Lambert, du palais du Louvre, du palais des Tuileries et du palais Mazarin. Autant dire des plafonds qui ont majoritairement disparu (étonnantes ces copies des plafonds du palais Mazarin dont l'emplacement est restitué ici) ou que l'on aura guère l'occasion de voir de sitôt (à l'exception de ceux du Louvre. Levez les yeux, visiteurs !).

Au XVIIe siècle, le plafond à compartiments, qui joue sur les voussures, les formes des compartiments et bien entendu les motifs, connait un important développement. On apprend avec étonnement que les motifs de ces compartiments étaient pensés indépendamment de la composition centrale. On voit combien le motif a pu évoluer du croquis à l'esquisse, jusqu'à la peinture finale. On s'amuse de voir qu'un dessin est rarement symétrique et propose des variations autour d'une forme centrale ou de compartiments latéraux. 

Bref, cette petite exposition était fort intéressante. Elle présentait à la fois des œuvres rarement vues et très belles et mettait en lumière un pan de l'histoire de l'art qui nous est surtout connu par les exemples versaillais.

mercredi 21 mai 2014

A Hambourg, peut-être...

Merci aux éditions Dialogues qui m'ont généreusement offert ce roman de Denis Labayle. Vous avez déjà croisé cet auteur ici. C'est lui qui a écrit le fameux Rouge majeur qui nous permet d'accompagner Nicolas de Staël. Mais ici, on renoue plutôt avec l'univers médical de Nouvelles sur ordonnance... En moins léger.

Chateau Le Castellet

Paris, hiver 1940. Le Professeur Déjean, spécialiste des maladies du foie, enchaîne les longues journées à l'hôpital, dans un contexte difficile. Paris est sous domination allemande. Les produits de première nécessité se font rare, notamment les médicaments. 
Il reçoit une convocation du docteur Helmut Garten, un allemand qui admire les travaux du chercheur qu'était Déjean avant la guerre, et lui demande de travailler avec lui sur quelques cas compliqués. Après maintes hésitations, Déjean accepte en échange de médicaments. Entre français et allemands, le professeur se trouve à une place dangereuse, vu comme un traître et un ennemi par les deux peuples. Ainsi, il commence à être suivi. Il se sent mal à l'aise dès qu'il doit sortir des relations purement professionnelles avec Garten. Bref, la situation est intenable sur le long terme.

Dans un Paris qui voit se constituer des premiers réseaux de résistance, comment considérer un médecin qui sauve français et allemands ? Est-ce un collaborateur ? Le serment d'Hippocrate dépasse-t-il les conflits nationaux ? C'est un vrai cas de conscience. A travers ce roman, l'auteur nous plonge dans une époque troublée. Il ne révolutionne pas le genre mais propose une nouvelle vision de l'amitié en temps de guerre. 
Une lecture sympathique et intelligente, qui questionne le lecteur. Le tout porté par la plume efficace de Denis Labayle.

lundi 19 mai 2014

Zurbaran à Bruxelles

Bozar à Bruxelles propose une rétrospective sur un peintre espagnol que j'apprécie énormément, Zurbaran. En premier lieu, j'ai découvert ses saintes, toujours vêtues de tenues riches et précieuses sur des fonds sombres, tenant l'instrument de leur supplice dans leurs fines mains. Puis, j'ai vu à Séville des tableaux pour des congrégations, ces moines tout de blanc vêtus. Et la luminosité, la subtilité de ces blancs m'a sidérée. Je trépignais donc pour aller visiter cette exposition. 

Cette exposition, plutôt courte, propose un parcours chronologique dans l'oeuvre du peintre du siècle d'or. Tout commence à Séville, où il peint pour les divers ordres religieux. Dans un esprit caravagiste, il joue sur un éclairage violent et un fond sombre qui donnent du relief aux personnages, façonnés par le clair obscur. C'est le cas de son très beau Saint Grégoire par exemple. On admirera aussi le rendu des matières sur ce tableau, les broderies de la chasuble, la finesse du surplis, la profondeur des teintes. S'ensuit la commande sur la vie de Saint Pierre Nolasque (qui n'est pas la plus belle salle) puis les peintures des saint mystiques, qui ont une relation particulière, presque intime, avec Dieu. Celle-ci peut-être montrée à travers une peinture à deux niveaux, qui fait se rencontrer humain et divin ou une peinture du saint, seul, à la spiritualité intériorisée. Cette peinture vise bien entendu à inspirer les croyants et à servir de modèle aux catholiques de la Contre-Réforme. On sent bien le contemporain de Murillo ici. 

Zurbaran, Saint Grégoire, Séville

S'ensuit une salle sur les natures mortes, que le peintre aime à ajouter à ses scènes religieuses. On poursuit avec la passion du Christ. Là, coup de cœur pour la simplicité et la puissance de l'Agnus Dei (San Diego). Par contre, je suis moins fan de ce qu'il a pu peindre à Madrid, lorsqu'il est appelé en 1634 pour décorer le Buen Retiro avec les meilleurs peintres du moment. Les scènes mythologiques et les scènes religieuses sur fond de paysage, ça lui va moins bien. Idem pour les scènes de la vie simple de la Sainte famille : Jésus qui se pique le doigt, ça pique aussi les yeux... Bref, c'est un peu kitsch pour le goût du jour.

Agnus Dei, Zurbaran, San Diego

On poursuit avec les vierges Marie. Et là, on en prend plein les yeux. L'immaculée conception de Siguenza est tout simplement épatante. Humble, en prière, dominant le monde, elle dégage une puissance surnaturelle. Sans parler de L'apparition de la vierge du rosaire aux chartreux, bluffante d'humanité, de douceur et de pouvoir. Là encore, cela vaut la peine de jeter un œil aux matières (idem pour le Saint Michel un peu ridicule de la salle voisine) : les effets de relief, de brillance, de plis, de nuance sont d'une grande maîtrise. 

On découvre enfin quelques unes de ces saintes dont je vous parlais plus haut. Et quelques autres personnages, colossaux, devant des paysages ou des fonds sombres. La plupart de ces œuvres étaient destinées à l'Amérique, où le peintre avait également des commanditaires. Enfin, avec l'installation de Zurbaran à Madrid, on voit s'opérer un changement dans sa peinture. En effet, on est loin des contrastes du Saint Grégoire. Ici, tout est plus doux. Les articulations entre personnage et fonds sont moins nettes comme si le peintre avait presque "flouté" les formes. Là aussi, quelques belles surprises, notamment Saint François et sa bure aux marrons innombrables. Enfin, l'exposition se clôt sur deux scènes religieuses qui montrent encore la touche très réaliste de Zurbaran, sa façon de rendre perceptible l'intériorité, la spiritualité de ses personnages. 

Cette exposition, qui propose finalement assez peu de tableaux (trois à quatre par salle en général), permet de bien lire l'évolution de la peinture de Zurbaran, d'en découvrir les différents aspects. Elle invite à la contemplation lente des œuvres, dans une demi-obscurité. Et parfois en musique (sacrée) (grâce à quelques casques) ce qui convient plutôt bien à cette peinture religieuse et recueillie. Bref, ça tenait du pèlerinage pour moi mais c'est aussi un bon moyen de rencontrer cet artiste !


Avant de quitter Bozar, nous avons fait un tour dans l'expo No Country for young men qui présente des œuvres d'artistes grecs contemporains. Des choses intéressantes et/ou percutantes, d'autres moins compréhensibles... On reste un peu sur sa faim.

dimanche 18 mai 2014

Manuel de l'antitourisme

Peut-on vraiment appeler "Manuel" cet ouvrage de Rodolphe Christin ? Il tient plus de la diatribe. Et m'a semblé manquer sérieusement de recul. Par ailleurs, l'auteur n'a pas peur de répéter à l'envi ses arguments à mesure des chapitres, ce qui peut lasser. Le propos est simple : une infime partie de la population fait du tourisme. Elle se répand sur les côtes isolées, se déverse dans les montagnes, prévoit des treks dans les déserts... Et abîme tout sur son passage. Notre auteur, qui a beaucoup voyagé, dénonce le consumérisme du touriste. Ce qui est pas très sympa pour tous ceux qui rêvent encore de voyager pour aller à la rencontre de l'autre et de sa culture. 

Première industrie mondiale, le tourisme est une manne. Le moindre pont et la moitié de la capitale se disperse dans les capitales européennes. Remède à notre quotidien morne et stressant, le voyage est presque une obligation sociale occidentale, un "devoir de vacances" dit l'auteur : pas besoin d'être curieux, vous pouvez simplement partir au moins cher, profiter d'une promo sous les tropiques sans même avoir besoin de retenir le nom de la capitale du pays ou sortir de votre hôtel bétonné... Si vous n'allez pas aux prestations qu'offre le pays, celles-ci vous trouveront jusque dans votre hôtel. Car vous n'allez pas en plus prendre le temps de ne rien faire ! Soyez rentables, faites un planning et consommez ce que les lieux ont à offrir. 
Si l'aventure vous démange, des agences se spécialisent sur ce créneau : pas question de construire vous-même votre propre aventure, celle-ci est bien cadrée. L'aventure, oui, mais seulement si on peut vous tondre au passage. 
Vous voulez faire du tourisme durable, c'est possible aussi. Mais c'est pour vous donner bonne conscience, ça ne change rien. Bref, notre auteur est sévère avec le tourisme sous toutes ses formes. 

Il dénonce les conséquences néfastes du tourisme sur les pays visités : une uniformisation croissante (mondialisation, quand tu nous tiens), une mise sous vitrine de cultures qui deviennent des spectacles, une pollution catastrophique (kérosène des avions, bétonnage des rivages). Pas de rencontre qui ne soit biaisée par l'argent... 
Dans cet ordre d'idées, j'ai découvert par exemple que le Mont-Saint-Michel avait bien changé depuis 10 ans. Il est désormais précédé d'une zone hideuse regroupant petit supermarché, hôtels et restaurants. Et sur le mont, on ne trouve plus rien à voir si ce n'est des marchands de babioles et des restaurants... 
Explorant la question sous des angles sociaux, économiques et culturels, Rodolphe Christin montre l'inanité de nos voyages (tous les mêmes). C'est un luxe et un divertissement dont on pourrait se passer à ses yeux. Car à toujours vouloir aller plus loin et rechercher plus d'authenticité, le touriste la détruit et la standardise par sa seule présence. C'est là tout le paradoxe du tourisme, qui uniformise l'exotisme

Au delà du tourisme, Rodolphe Christin critique la gestion et le management du monde, cette exploitation permanente des ressources, cette organisation des relations humaines... Bref, ce qui est propre à une société. Mais toutes ces critiques, parfois à la limite de la mauvaise foi, ne sont-elles pas plutôt des critiques de la mondialisation ? Certes, le tourisme y a sa place, mais est-ce là le seul coupable ? 

L'auteur propose comme alternative au tourisme actuel le retour au cheminement. Il faudrait prendre le temps de marcher, de voir les lieux que l'on traverse plutôt que d'aller plus loin et plus vite. Il faudrait aussi partir sans chronométrer ce que l'on fait, sans même prévoir une date de retour. Mais est-ce encore possible ? Qui peut encore se permettre de partir au long cours ? Peut-être ne faudrait-il voyager que dans nos lectures, on serait moins destructeurs...

Mont-Saint-Michel tourisme

vendredi 16 mai 2014

L'élixir d'amour

Merci aux éditions Albin Michel pour le dernier roman d'Eric-Emmanuel Schmitt. Je l'ai lu d'une traite mais j'en sors un peu frustrée. J'ai l'impression que l'auteur s'est amusé à composer un petit puzzle de références sur l'amour, mais qu'il est resté à la surface des choses.

Tullio Lombardo, Bacchus et Ariane, marbre, vers 1505, KHM, Vienne

Adam et Louise tissent une correspondance. Anciens amants, ils se sont quittés non par désamour mais à cause des infidélités répétées d'Adam. Louise est partie à Montréal. Adam est resté à Paris. Il lui propose une amitié épistolaire. Louise n'a d'abord pas très envie de cet ersatz d'amour. Et finalement, elle se prend au jeu. 
Nos protagonistes, en mode Liaisons dangereuses aux petits pieds, expérimentent et analysent l'amour. Peut-on réellement distinguer l'amour physique des sentiments ? Existe-t-il une recette (ou un philtre) qui déclenche l'amour ? Désir ? Amour ? De quoi parle-t-on au juste ?
Ce court roman se propose, non pas de répondre à la question, mais de proposer des pistes de réflexion et une petite démonstration (assez attendue en fait).

Alors, certes, c'est toujours sympathique un roman d'E.-E. Schmitt mais là c'est vraiment trop court pour permettre l’élaboration d'une véritable philosophie de l'amour : Louise étudie la question du transfert en psychanalyse, de la cristallisation, etc. Mais les échanges des amants restent assez plats. Il n'y a pas de débat, les personnages sont d'accords. S'ils ne le sont pas, ils le deviennent. Mais jamais l'échange ne parait vraiment constructif. Il n'élève ni l'un, ni l'autre. Il parait que le roman est subtil, que la réflexion philosophique transparaît derrière l'aphorisme. Pour ma part, j'y ai plutôt vu des questions déjà lues ailleurs, simplifiées à l’extrême. Est-ce que ce roman fait rêver ou étonne ? Pas vraiment. Est-ce qu'il donne à penser ? A peine. Bref, un roman qui se veut philosophique... qui ne questionne pas assez à mon goût. Heureusement, il ne donne pas non plus trop de réponses toutes faites, même si la fin du roman oriente forcément l'interprétation du lecteur.

challenge amoureux

jeudi 15 mai 2014

Les secrets de la laque française : le vernis Martin

Au musée des Arts Décoratifs se tient une très belle exposition sur le vernis Martin. L'occasion de découvrir la créativité des artistes du XVIIIe siècle en termes de décor de mobilier, d'accessoires et de véhicules.

Au XVIIIe siècle, les chinoiseries sont au goût du jour. Chacun veut avoir son laque : rare, coûteux et très long à expédier (plus d'un an en bateau) depuis le Japon et la Chine, c'est un objet de grand luxe. Qui, comme tous les objets luxueux, est destiné à être abondamment imité. C'est un peu le Vuitton de l'époque. Parmi les peintres-vernisseurs les plus connus, on retiendra en France le nom de Martin, une dynastie dont les créations courent sur toute la seconde moitié du XVIIIe siècle. 

Les premiers objets présentés sont des laques asiatiques du XVIIe siècle. Mais très vite, ceux-ci sont démontés par les marchands-merciers et réutilisés, créant ainsi des meubles aux laques mixtes, asiatiques et européennes. Il s'agit initialement d'imiter le mieux possible l'art japonais, de s'en tenir au noir et à l'or. C'est à ce moment là que le visiteur constate qu'il a souvent bien des difficultés à différencier les originaux des copies. Et qu'il s'interroge sur la notion d'authenticité.

Après le temps de l'imitation, vient celui de la création. Les Martin développent une laque française, un vernis composé de plusieurs couches superposées... et y introduisent de la couleur. On découvre ainsi les étonnants effets d'un vernis bleu aux motifs dorés sur divers meubles, comme cette jolie commode ou l'un des secrétaires de Madame de Pompadour. Dans un premier temps, on conserve des motifs asiatiques avant de s'en détacher pour introduire des motifs de style rocaille mis à la mode par des artistes comme Boucher. 

Commode à deux rangs de tiroirs, Paris, estampillée de Jacques Dubois (1694-1764)
Paris, galerie Steinitz
© DR
Et les usages se diversifient également. Le vernis Martin ne s'applique pas uniquement sur des meubles mais aussi sur toutes sortes d'accessoires : étuis, outils scientifiques, instruments de musique, tabatières, cache-pots, voitures, etc. On découvre des bonbonnières alliant vernis Martin et peinture à l'huile, faisant la part belle aux guirlandes et aux rayures. Mais le plus étonnant reste certainement l'ensemble de berlines présenté par le musée. Leur décor est bien souvent peint de scènes de genres ou de compositions mythologiques laquées.
Bonbonnière, anonyme, Paris, milieu des années 1770
Münster, Museum für Lackkunst
© DR
On ressort de cette riche exposition (environs 300 objets présentés) ravi de toutes ces découvertes. Personnellement, je m'étais arrêtée à l'imitation par les Martin des laques asiatiques. Je n'avais absolument pas idée que ces meubles aux décors de guirlandes et de fleurs roses ou bleus sur fond blanc appartenaient à leurs créations. Mon seul regret : il m'a manqué un peu de détails sur la laque asiatique (composition, utilisation) qui a inspiré la laque française. Mais retenez que cette exposition est absolument passionnante ! Elle traite à la fois de la technique de ce vernis (une vidéo très instructive sur les analyses du C2RMF), de son histoire, de l'évolution des objets, de l'iconographie et des teintes qu'il dessine et protège... Bref, le panorama est très complet et beaucoup plus intéressant que son titre ne le laisse paraître.

mercredi 14 mai 2014

Pourquoi les zèbres sont-ils en pyjama ?

Voici un petit livre pour les enfants qui se posent des questions sur les animaux. Savez-vous pourquoi la hyène rit, la girafe a un si long cou et le rhino une corne ? Et le crocodile, pourquoi pleure-t-il ?

Au centre, l'animal est dessiné de façon charmante. Et tout autour, Lila Prap nous propose des réponses d'enfants... et la vraie raison. Ainsi, peut-être la hyène rit-elle parce qu'elle marche pieds nus dans l'herbe et que ça la chatouille. La girafe a certainement mangé des spaghettis crus. Une corne, n'importe où ailleurs sur un rhinocéros, cela aurait été ridicule (dessins à l'appui). Et le crocodile ne trouve pas d'amis pour jouer avec lui. 

Un petit livre mignon et hilarant qui vous donnera envie d'inventer vos propres réponses ! Allez, une petite pour la route :)

crinière du lion
Alors, pourquoi les lions ont-ils une crinière ?

mardi 13 mai 2014

Le Ciel nous appartient

Merci au Livre de poche pour l'envoi de ce livre de B. I. Koerner qui nous plonge dans les années 70 aux Etats-Unis. 

Si la quatrième de couverture nous annonce l'histoire du plus long détournement d'avion des années pop, il s'agit plutôt d'un essai documentaire sur les détournements d'avions en général, dont celui de R. Holder et C. Kerkow. Ce n'est donc pas vraiment un roman, même si l'histoire des "Bonnie & Clyde" du ciel est certainement un peu romancée. Sachez par ailleurs que l'auteur a interviewé R. Holder et s'est pas mal documenté sur le sujet. Tout ça pour préciser que ceux qui attendent une simple aventure risquent d'être déçus. Car c'est beaucoup plus que cela !

Ce livre est l'histoire personnelle de Cathy Kerkow et Roger Hodler, deux jeunes gens presque comme tout le monde. Ils se sont croisés enfants et se retrouvent adultes. Elle vit de petits boulots et vend de la drogue. Il revient du Viet Nam, héros dégradé pour avoir consommé de la marijuana, fasciné par l'astrologie. Ils tombent amoureux. Et décident de détourner un avion. Le plan ? Libérer Angela Davis, la déposer à Hanoï et s'installer ensuite en Australie. Le but ? Témoigner des atrocités de la guerre. Tout ne va pas se passer exactement comme prévu et nos amoureux vont finalement se retrouver à Alger...

Mais avant de nous expliquer en détail les étapes de ce détournement réalisé en 1972, B. I. Koerner revient sur l'enfance et la formation des protagonistes ainsi que sur l'histoire des détournements d'avions. Dans les années 1950, c'est plutôt en Europe que l'on tente de se faire entendre ainsi (et de fuir les régions soviétiques). Puis, dans les années 1960, le détournement devient courant. Il s'agit pour les uns de se rendre à Cuba, pour d'autres de simplement se faire entendre des médias, pour d'autres encore d'obtenir des rançons. Le phénomène prend des proportions (plusieurs par jours) telles que le gouvernement réfléchit à des solutions... que les compagnies aériennes refusent de mettre en place (pour des questions de coût et de confort essentiellement). Si la liste des détournements fait parfois un peu catalogue, elle demeure intéressante en termes de créativité et d'innovation des pirates de l'air.

J'ai trouvé cette remise en contexte essentielle pour la compréhension du détournement. En période post 11 septembre, où il est impossible de prendre l'avion avec une bouteille d'eau, il parait hallucinant qu'il ait pu un jour en être autrement. On vous parle ici d'un temps où les voyageurs pouvaient être accompagnés par leurs proches jusque dans l'avion, où les bagages n'étaient pas inspectés (voire même les billets), où le détecteur de métaux et la fouille au corps s'assimilaient à une violation de l'intimité... Un temps où l'avion n'était pas considéré lui-même comme une arme potentielle. 

Entre l'essai et le roman, j'ai trouvé cette lecture très informative et tout à fait passionnante. Elle nous plonge avec brio dans l'atmosphère d'une époque où le mythe américain en prend pour son grade et où le crime devient le seul moyen de faire entendre son mécontentement (ou son désespoir, ou sa folie, c'est selon). Ce n'est pas un livre à lire pour son style, très peu travaillé, mais pour son contenu documentaire, très riche. Même dans la partie la plus romancée de l'ouvrage, celle qui concerne Cathy et Roger, l'auteur ne s'encombre pas trop de détails ou d'interprétations : il va aux faits, propose des hypothèses mais ne les impose pas. Bref, un livre que j'ai dévoré, exaltée par cette montée en puissance des détournements !

Détournement d'avion pour une vie rêvée meilleure


lundi 12 mai 2014

La nausée

Voilà un roman de Jean-Paul Sartre qui traîne dans ma PAL depuis le lycée (non, je ne vous dirai pas combien ça fait en années). Figurez-vous que j'avais dévoré son théâtre mais que ce premier roman, au titre peu engageant, et que nos professeurs nous décrivaient comme le manifeste de l'existentialisme, me tentait peu.

Ce roman prend la forme du journal intime d'Antoine Roquentin, individu qui a baroudé à travers le monde avant de se fixer à Bouville où il entreprend une biographie du marquis de Rollebon. La vie d'Antoine Roquentin n'est pas palpitante. Entre ses séances à la bibliothèque, ses rares aventures et la morne vie d'une ville de province, il mène une existence de rentier et de célibataire sans attache.
Pourtant il note un changement progressif dans son rapport au monde. Il examine ainsi la notion d'aventure, qu'il a cherché dans ses voyages, sans jamais la trouver semblable à ce que les livres lui avaient montré. "Ce sentiment d'aventure ne vient décidément pas des événements : la preuve en est faite. C'est plutôt la façon dont les événements s’enchaînent. Voilà, je pense, ce qui se passe : brusquement on sent que le temps s'écoule, que chaque instant conduit à un autre instant, celui-ci à un autre et ainsi de suite ; que chaque instant s'anéantit, que ce n'est pas la peine d'essayer de le retenir, etc. Et alors on attribue cette propriété aux événements qui vous apparaissent dans les instants ; ce qui appartient à la forme, on le reporte sur le contenu [...] Le sentiment d'aventure serait, tout simplement, celui de l'irréversibilité du temps. Mais pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas toujours ? Est-ce que le temps ne serait pas toujours irréversible ?"

Il note ses pensées. Répétitives. Angoissantes. Jusqu'à la mélancolie. Il attend qu'il se passe quelque chose. Il panique de peur de manquer ce qui va arriver. Il lui vient comme une nausée. Une conscience aiguë, exacerbée de ce qui l'entoure et de sa qualité d'être humain : "C'est donc ça la Nausée : cette aveuglante évidence ? Me suis-je creusé la tête ! En ai-je écrit ! Maintenant je sais : J'existe - le monde existe - et je sais que le monde existe. C'est tout. Mais ça m'est égal". Avec la conscience de l'existence, cette révélation cartésienne, vient la question de comment l'utiliser. Faut-il poursuivre ces recherches sur le marquis de Rollebon ? Faut-il se laisser vivre ? Que faire de cette liberté de l'existence ? Si Roquentin se propose un but dans l'écriture (ou l'art), c'est peut-être à chacun de trouver son propre chemin...

Ce roman, à la fois banal par sa forme et son style, a des côtés ennuyeux et répétitifs. Néanmoins, il constitue une belle introduction à l'existentialisme (Qui n'a pas étudié le fameux L'Existentialisme est un humanisme ?) et à la lecture de L'être et le néant (qui n'est pas pour tout de suite). Il pose des questions universelles sur l'existence, la temporalité de l'homme et sa liberté. Car au-delà de la nausée, Roquentin nous invite à exercer notre liberté.

eglise

dimanche 11 mai 2014

Robert Adams et Mathieu Pernot au Jeu de Paume

Une semaine avant la fin des expos du Jeu de Paume, je me suis rendue compte que je risquais de les rater. 

Robert Adams, L'endroit où nous vivons

Ce photographe de l'ouest américain nous invite à parcourir le Colorado, notamment Denver, mais aussi la Californie. Il photographie les paysages urbains et suburbains, la nature qui disparaît, s'efface au profit de l'humain. Une photographie en noir et blanc, sobre et économe, de taille modeste, qui pointe les contradictions de l'homme : son désir de vivre dans des endroits d'une grande beauté qu'il détruit par ses industries polluantes et ses banlieues tentaculaires. Certaines séries m'ont touchée comme son travail sur les églises méthodistes, sur la consommation et les arbres (peupliers et souches). Les autres, beaucoup moins.
Je vous laisse méditer sur les questions que nous pose l'artiste en guise d'introduction : qu'est-ce que la géographie nous oblige à croire ? Que nous autorise-t-elle à croire ? Et, le cas échéant, quelles obligations résultent de nos croyances ? 

Mathieu Pernot, La traversée

Tout autre est le travail de M. Pernot. Plus que le paysage, c'est l'homme son sujet et plus spécialement les hommes nomades (tziganes et migrants). A travers différentes séries, le visiteur découvre ainsi des photos d'identité d'enfants qui traduisent leur méconnaissance des photomatons, des récits d'anciens internés de camps de nomades pendant la Seconde Guerre mondiale (le photographe mêle photos actuelles, documents d'archives et cartographie de leurs déplacements), des barres d'immeubles démolies, des migrants fantomatiques endormis dans les rues de la capitale...
Suivant les mêmes personnes pendant plusieurs années, le photographe questionne sur ce qui constitue notre identité et notre histoire. De même, à travers ses images des banlieues, des barres dynamitées ou des cartes postales anciennes, il teint de nostalgie une époque où ces lieux vivaient. L'attachement des habitants qui indiquent leur appartement est sensible. En intitulant l'une de ces séries "Le meilleur des mondes", il exprime bien la valeur utopique mais mensongère de ces logements sociaux.
Variant les formats, passant de la couleur au noir et blanc, M. Pernot propose des photographies documentaires qui racontent des histoires, c'est certainement ce qui les rend si intéressantes, touchantes et attachantes. 

M. Pernot, Le meilleur des mondes et Les témoins, 2006

M. Pernot, Implosions, 2000-2008

M. Pernot, Un camp pour les bohémiens, 1998-2006

NikaAutor, Film d'actualités - l'actu est à nous

J'ai enfin terminé par le film et les objets exposés par Nika Autor autour de l'histoire de la Yougoslavie, qu'elle présente, qu'elle transforme, qu'elle repense. Pour un retour au journalisme engagé. J'ai été moins emballée.

samedi 10 mai 2014

A Flowering Tree

Toujours attentifs à la programmation du théâtre du Châtelet, nous avons vu cet opéra de John Adams sans trop savoir à quoi nous attendre. L'affiche nous a séduit. Nous avons pris des places. Nous nous sommes retrouvés dans une salle assez peu remplie (ponts de mai obligent).

Sur scène, un épouvantail (Franco Pomponi), qui n'est autre que le narrateur, nous annonce une histoire d'amour et de douleur. Celle de Kumudha et de son prince. Kumudha est une jeune et jolie indienne (incarnée par Pauline Pfeiffer) qui peut se transformer en arbre. C'est un peu Daphné, mais sans Apollon qui la poursuit. Émerveillé par cette vision, le prince ne désire qu'une chose, l'épouser. Mais une sœur envieuse va séparer les deux amants...

On retrouve avec amusement David Curry (un des princes de Into the woods) dans ce conte indien aux couleurs vives. Des décors simples (jarres, statues de Shiva et de Maya) et des jeux sur la lumière, font de ce spectacle un moment esthétique. Les danseurs, qui doublent le prince et Kumudha, ajoutent une dimension lascive et charnelle aux mouvements des chanteurs et leurs gestes disent tout ce que les paroles ne peuvent exprimer. Seules les marionnettes n'ont pas ici une folle valeur ajoutée. L'ensemble est à la fois exotique et très poétique
Maya Inde


Musicalement, la partie n'est pas des plus aisées. Elle fait la part belle aux cuivres et aux percussions. Quant au chœur, on regrette de ne pas l'entendre plus car chacune de ses apparitions est inventive et étonnante

Bref, un spectacle plaisant qui sort de l'ordinaire (et c'est la première fois que j'entends autant parler d'éléphant dans un opéra) et qui fait voyager malgré l'universalité du sujet traité.

vendredi 9 mai 2014

Carl Larsson, l'imagier de la Suède

Vous avez sans doute déjà croisé ce petit garçon au pantalon rouge, au bonnet tricoté et à l'air étonné ! Croqué par Carl Larsson, il évoque à lui seul l'enfance et les pays nordiques.

Carl Larsson, Mat Larsson © Nationalmuseum Stockholm

Carl Larsson, à qui est consacré une exposition au Petit Palais, est le dessinateur bien connu de la vie de famille, dans une maison cosy et chaleureuse, pleine d'enfants plus ou moins sages. La vie à Sundborn, fixée dans ses aquarelles, diffuse un art de vivre simple et sympathique. Rien de figé dans ces tableaux de la vie quotidienne : vitalité des regards et des gestes, vivacité des couleurs, surprise du cadrage, tout tend à nous rendre perceptible la vie palpitante de ces lieux. Mais au-delà du travail d'aquarelliste, l'exposition retrace la formation et présente les premiers tableaux de Carl Larsson.

Formé en Suède, C. Larsson rejoint Paris dans les années 1880 et s'installe ensuite à Grez-sur-Loing où vivent des artistes étrangers. Il y peint les hommes et la nature, dans une douce harmonie. C'est serein, on est bien dans ces tableaux naturalistes sans brutalité et sans artifice. Là, coup de cœur pour la toile intitulée Coquelicots (1884).
Puis, il regagne la Suède, où il peint à la fois des portraits (Strindberg, son ami pour un temps) mais aussi des  intérieurs et des fresques. L'une d'elle est refusée...
L'exposition se poursuit sur Sundborn et son art de vivre. Les aquarelles de C. Larsson, diffusées via différents livres illustrés, inspirent alors (et toujours) le design grâce à une simplicité non dénuée de confort. 

Sympathique exposition à la scénographie très en accord avec les œuvres : c'est chaleureux, on resterait bien plus longtemps. C'est aussi une exposition familiale qui propose un espace pour les enfants avec des petits jeux (sponsorisé par Ikéa). Bref, une petite parenthèse de nature et d'harmonie !