jeudi 5 décembre 2013

Se distraire à en mourir

N'ayez pas peur, le titre de cet essai de Neil Postman est plus incisif que son contenu. Je ne sais plus sur quel blog je l'ai repéré mais c'était une bonne pioche !

Organisé en deux parties, ce livre s'interroge sur la dégénérescence intellectuelle que crée la télévision par rapport au livre. En premier lieu, Huxley et Orwell introduisent le propos. Il est désormais acquis qu'Huxley était plus clairvoyant qu'Orwell : le totalitarisme qui interdit et entrave ne domine pas le monde même si la surveillance et les moyens de pister les hommes rappellent Big Brother. Par contre, le divertissement est bien à l'ordre du jour. Ce divertissement nous dit Postman, c'est la télévision. 

En premier lieu, Postman indique combien le média crée le discours. Le mode de communication influe sur le contenu même de ce qui est communiqué. Ainsi, les langues participent à l'élaboration de diverses compréhensions du monde, de même que l'horloge a rendu obsolète le rythme des saisons.
Puis l'auteur s'intéresse à ce qu'était le discours au XIXe siècle dans un jeune continent très friand de livres. Il indique qu'en plus des lectures, les américains appréciaient les conférences et débats construits autour d'intellectuels maîtrisant parfaitement l'art oratoire : phrases longues et élaborées, usage de subordonnées, bref, tout ce que l'on vous déconseille de faire maintenant. Postman postule que la pensée fonctionnait alors comme le livre, favorisant l'utilisation de concepts et leur exposition dans de longues discussions. 
Pour lui, le télégraphe puis la photographie et la télévision ont permis de gommer les distances et le temps, permettant la multiplication d'informations et la reproduction du monde à l'identique. Ce nouvel usage de l'image qui vient remplacer le texte par sa force évocatrice apparaît notamment dans la presse et la publicité. Elle contextualise une information qui n'a souvent plus aucun intérêt, une information que l'auteur relègue aux mots croisés et au Trivial Pursuit. L'information, multipliée, illustre un monde de l'éphémère, sans cohérence, voué au divertissement.

La seconde partie du livre s'interroge sur la façon dont la télévision façonne notre mode de pensée, notre façon de lire le monde et d'agir. Il vise à faire prendre un peu de recul au lecteur. Il nous met en garde : la télévision permet d'accéder à une culture mais la normalise selon ses critères, à savoir l'éphémère et le divertissant. Tout notre monde doit alors être divertissant : apprendre à l'école doit être plaisant, un politicien doit être charmeur. Quel besoin d'avoir un discours et des arguments ? Ce qui passe bien à la télévision, c'est un physique flatteur et l'impression que dégage le politicien. Il doit être acteur plus qu'orateur. Et doit de préférence achever son adversaire d'un bon mot. 
Postman traite ensuite des émissions religieuses. Rien de sacré dans ces shows, pas de condamnations, pas de dogmes mais plutôt des propos anodins. Ce qui diffère grandement de la réalité des pratiques religieuses et crée un fossé entre la version télévisée et la version réelle d'un culte. Comment survivre devant cette version divertissante à moins de se rendre plus divertissant que la télévision... et risquer de perdre sa vocation ? 
Il est aussi question de la juxtaposition des informations : le passage en quelques minutes d'un sujet à l'autre ne permet pas de compréhension des faits, ni leur mémorisation. Par ailleurs, toutes ces actualités sont mises sur le même plan : guerre, grèves, découvertes, sorties ciné, prix littéraire... Trois minutes pour un sujet et voilà déjà le suivant. Comment organiser ces informations par ordre d'importance ? 
Enfin, l'auteur conclut sur le rôle éducatif de la télévision pour les jeunes gens. Occupant une grande partie de leur temps, les programmes éducatifs ne sont rien d'autres qu'une activité divertissante. La télévision ne nécessite pas de connaissances préalables, présente des faits qu'elle n'invite pas à remettre en question et les met en scène sous forme d'histoires. Parallèlement, Postman signale des tentatives pour faire de l'école un lieu où apprendre en s'amusant. Il critique violemment cette tendance comme la mort de la réflexion.
Que propose l'auteur ? De questionner notre rapport aux médias, de prendre du recul. Il ne condamne pas à proprement parler la télévision mais invite à ne pas tout comprendre par son prisme. 

Une lecture très intéressante qui peut aujourd'hui être actualisée dans notre rapport à Internet. L'outil favorise également le zapping, la brièveté, l'amusement... mais ne fait pas beaucoup fonctionner nos neurones. Bref, continuez à lire ! Et à cogiter !


8 commentaires:

  1. j'ai noté la référence
    En ce moment en écoutant la radio j'ai l'impression effectivement de zappeur en permanence sans l'avoir voulu
    Chaque radio tente de dire le plus de choses possibles en un minimum de temps d'où des raccourcis ahurissants qui passent de la prostate du chef de l'état aux nombres d'enfants aveugles parce que leur nourriture ne comporte pas assez de vitamine A !!!!

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    1. C'est tout à fait vrai ! Et ça se retrouve dans tous les médias que nous utilisons.

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  2. Un essais à remettre au goût du jour, alors.

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  3. J'en avais parlé il y a quelques mois ! Une saine, très saine lecture, je te rejoins entièrement sur le parallèle à faire aujourd'hui avec notre usage d'internet !

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    1. Oui, c'est bien chez toi que je l'ai repéré ! Merci pour la découverte, c'était hyper intéressant.

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  4. Très intéressant, la réflexion semble particulièrement complète et effectivement à poursuivre...

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    1. Oui, c'est un livre qui peut sans mal être transposé à d'autres médias et qui pourrait être actualisé de nos jours.

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